Arrêter de fumer : mieux vaut un compromis plutôt que l’échec
Le comble de l’absurde : protester contre la pollution provoquée par la cheminée de l’usine voisine, alors que vous enfumez votre entourage avec votre cigarette. Sans parler des dégâts que vous vous infligez vous-même par l’usage du tabac. Refrain sans cesse rebattu par les grands pontes de la médecine et par les campagnes de sensibilisation qui essayent de convaincre les incorrigibles fumeurs. Or, ce message ne passe pas. Tous les arguments rationnels militant contre le tabagisme échouent face au comportement obstiné des fumeurs. C’est probablement que la vraie « raison » est ailleurs, quasiment philosophique. Fumer ou ne pas fumer,
« that is the question ». Chaque homme et chaque femme s’y trouve un jour confronté. Comment se sortir de ce dilemme qui devient obsédant. Contrariée par tant d’échecs la cause paraît décourageante ?
Le discours médical est maintenant connu de tous. Il vise à répandre la terreur. La fumée du tabac contient au moins quarante goudrons cancérogènes qui tapissent vos poumons comme l’asphalte des autoroutes. Sans parler de la nicotine qui démolit votre cerveau avec autant d’efficacité que les drogues dures comme l’héroïne et la morphine. S’y ajoute l’oxyde de carbone qui empoisonne votre sang et, par voie de conséquence, vos muscles, en particulier le plus précieux d’entre eux, le cœur. Résultat, proclamé par les statistiques : le tabac est à l’origine de 90 % des cancers des voies respiratoires et de l’aggravation des maladies cardio-vasculaires. On sait aussi que fumer pendant la grossesse provoque des
effets catastrophiques sur la santé des futurs enfants. Qui ignore cela aujourd’hui ? Peu de gens. Et pourtant ils continuent de fumer. Provocation ? Goût du suicide ? Évidemment non.
Si une partie importante de la population continue de fumer, c’est parce que c’est mortellement bon, comme de rouler en voiture à 160 km/heure, avaler plusieurs verres d’alcool par jour, faire l’amour avec n’importe qui sans préservatif. Les lois, même appuyées par la propagande la plus intense, n’élimineront pas à 100 % ces comportements désastreux. Même si la loi antitabac et l’intolérance aux fumeurs parviennent à leur interdire l’accès aux lieux publics, ils fumeront en cachette, comme jadis dans les fumeries d’opium clandestines. Oublie-t-on que dans nos sociétés la toxicomanie est un délit majeur contre lequel les polices luttent en vain depuis des décennies ? Conclusion : la société fait ce qu’elle peut pour mettre en garde le public. Son rôle ne peut être efficace que si chaque individu prend lui-même, très personnellement, la décision qui le sauvera. Le peut-il ? Le veut-il ?
«Rien de plus facile que de s’arrêter de fumer», disait l’humoriste américain Mark Twain, « j’ai déjà arrêté neuf fois ! » Moralité, il ne sert à rien de s’arrêter de fumer toutes les six semaines pour recommencer deux jours plus tard, en fumant deux fois plus pour compenser son complexe de culpabilité. Ce qu’il faut, c’est s’arrêter une seule fois, pour toujours ! Tous les moyens sont bons pour y parvenir, depuis la promesse solennelle faite à sa femme, jusqu’au pèlerinage à Lourdes, à La Mecque ou à Jérusalem, en passant par l’acupuncture ou l’auriculothérapie. À chacun sa méthode.
Si la plupart des décisions d’arrêter de fumer échouent, l’es! parce qu’elles sont trop radicales. La loi du tout ou rien est excessive et irréaliste. Quand un adolescent commence à limier, il ne peut guère consommer que trois à quatre cigarette par jour, et encore, sans avaler la fumée. Sinon, c’est la nausée garantie et son cortège de migraines. Pour devenir un t’.ros fumeur, il faut apprendre et persévérer. C’est ainsi que s’acquiert la « dépendance », comme pour n’importe quelle autre drogue. Pour se débarrasser de son vice, c’est pareil : cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut per-sé-vé-rer. D’où l’intérêt de la méthode dégressive. C’est comme pour payer ses dettes : c’est plus facile par soustractions successives que tout d’un coup. Autrement dit, si vous fumez un paquet de cigarettes par jour, commencez par n’en fumer que 19, puis 18, et ainsi de suite jusqu’à zéro. Cela vous prendra déjà près de trois semaines. Si, ensuite, vous vous sentez prêt à craquer, choisissez le compromis : une seule cigarette après les repas de midi et du soir. Et tenez le coup. Si malgré lout, vous êtes encore sur le point de flancher, il vous reste une ultime ressource : le cigarillo. Même régime, un seul après les repas. D’abord vous n’aurez plus envie d’avaler la
fumée. Mieux encore, les cigarettes vous paraîtront tout à fait insipides. Vous n’en aurez pas plus envie que de fumer du foin. Alors, vous ne serez pas loin d’avoir gagné l’une des plus grandes batailles de votre vie… contre vous-même. Et vous aurez droit, en prime, aux compliments de votre médecin.