Adapter l'alimentation aux besoins de l'homme : Le statut ambigu de la pomme de terre
Comme celle du pain, la consommation de pommes de terre a beaucoup diminué avec la sédentarisation et le changement des habitudes alimentaires en direction de produits transformés souvent trop riches en ingrédients purifiés (sucre, matière grasse, amidon…). En France, cet aliment fournirait ainsi environ 7 % de l’énergie (et beaucoup plus si on compte les matières grasses d’accompagnement). En fait, les caractéristiques nutritionnelles de la pomme de terre varient fortement en fonction des variétés utilisées et des modes de préparation.
La pomme de terre est une source très intéressante de glucides, et la consommation de cet aliment est souvent indispensable pour atteindre l’apport glucidique recommandé. Cependant, on a trop considéré la pomme de terre comme un féculent de peu d’intérêt nutritionnel alors que ce tubercule peut être également une source très intéressante de fibres, de minéraux et de micronutriments. D’ailleurs, la fraction non énergétique de certaines variétés de pommes de terre anciennes, voire récentes, est comparable à celle d’autres légumes. On sait qu’il existe un consensus sur l’intérêt nutritionnel des fruits et légumes dont la plupart des enquêtes épidémiologiques ont permis de mettre en évidence le rôle essentiel dans la prévention des pathologies majeures. Avant que la sélection ne transforme la pomme de terre en un tubercule de chair blanche remarquable pour sa capacité à accumuler de l’amidon, cette dernière était présente en Amérique et surtout au Pérou sous forme d’une très grande
diversité de tubercules plus ou moins colorés (et donc riches en micronutriments) et plus ou moins volumineux. Les possibilités de favoriser l’utilisation de variétés de pommes de terre d’excellentes qualités organoleptiques et de bonne valeur nutritionnelle sont très fortes à condition justement de sélectionner cet aliment sur ces critères et de montrer ainsi que ce produit végétal peut être aussi protecteur que les autres légumes. Il faut noter la propension humaine assez ridicule à blanchir les aliments sélectionnés. Ce qui pouvait sembler futile, tant que le rôle des phytomicronutriments était ignoré, apparaît maintenant comme une erreur majeure, or il faut souvent une à plusieurs dizaines d’années pour sélectionner des plantes réunissant au mieux qualités agronomiques et nutritionnelles.
Même si sa composition n’est pas optimale en micronutriments, la pomme de terre est une source remarquable de glucides complexes sous forme d’amidon. Après cuisson, l’amidon de pomme de terre est très digestible. L’index glycémique de cet aliment peut cependant être amélioré par un mode de cuisson avec la peau ou un refroidissement prolongé. L’amidon d’une pomme de terre cuite et stockée au frigo peut même devenir très lentement digestible.
La pomme de terre a la particularité d’accumuler du potassium sous la forme de sels organiques (citrate principalement) et de ne pas être trop riche en phosphore, un élément trop abondant dans l’alimentation humaine. Dans la pratique alimentaire, il est très courant d’associer viande, charcuterie et pomme de terre, et cette association est plutôt bonne, ce qui ne signifie pas qu’il faille en faire la base de son alimentation et exclure les autres légumes. On a trop facilement associé l’impact de la pomme de terre aux conséquences négatives de certaines typologies alimentaires peu diversifiées et très tournées vers les matières grasses et les produits animaux.
Associés aux produits animaux, les sels organiques de la pomme de terre, transformés en bicarbonate de potassium dans l’organisme, exercent des effets alcalinisant susceptibles de combattre l’acidification provoquée par les protéines animales. Néanmoins, aucune étude n’a démontré quelles étaient les proportions de viandes et de pommes de terre qu’il faudrait consommer pour assurer un équilibre acido-basique satisfaisant. Il serait intéressant de montrer que la consommation de pomme de terre joue un rôle significatif dans la prévention de l’ostéoporose via la préservation de l’équilibre acido-basique comme cela a été prouvé pour les fruits et légumes. Autre intérêt de la pomme de terre, consommée nature avec des produits salés, elle pourrait participer à la lutte contre l’hypertension puisque le potassium quelle contient est un antidote remarquable du sodium.
Le rôle clé des radicaux libres dans les processus du vieillissement et dans la genèse de pathologies (maladies cardio-vasculaires, cancers…) justifie la nécessité d’apporter à l’organisme des antioxydants indispensables à la protection cellulaire. La pomme de terre est une bonne source de vitamine C, elle contient aussi de l’acide chlorogénique (un des nombreux polyphénols aux propriétés antioxydants), mais la biodisponibilité de ce composé est sans doute faible. C’est par l’optimisation de sa teneur en micronutriments que la pomme de terre pourra bénéficier d’une image santé semblable à celle des autres légumes. Nous avons déjà des tubercules violets riches en anthocyanes, demain nous pourrions disposer de tubercules jaunes, plus riches en caroténoïdes, ce qui ne nous empêcherait pas de conserver nos pommes de terre actuelles pour bien des usages culinaires.
Cette diversité de couleurs et de micronutriments existe déjà dans un très grand nombre de racines et de tubercules des pays du Sud (patate douce, manioc, igname, taro). La patate douce, souvent riche en caroténoïdes, contient de l’inuline (aux vertus prébiotiques), comme le topinambour. Cette patate pourrait être cultivée aussi dans les régions tempérées et enrichir ainsi notre gamme de légumes. Le manioc est une source extraordinaire de glucides dans toutes les régions subtropicales ou tropicales du monde. En s’appuyant sur les capacités des plantes à accumuler des glucides, mais aussi des micronutriments protecteurs dans les fruits, les graines et le système racinaire, l’humanité dispose d’un potentiel alimentaire extraordinaire et complémentaire qu’elle pourrait mieux exploiter sur le plan nutritionnel tout en développant une agriculture de qualité sur le plan écologique.