Le déclin : La Suède et les pays-Bas
Henrick Tham, chercheur en criminologie à Stockholm, a analysé, dans un article intitulé «Drug control as a national project : The case of Sweden » les raisons pour lesquelles la Suède semble se distinguer par sa forte sensibilité sur la question de la drogue et son aversion pour l’absence de position ferme sur la question. Il conclut que ce problème,
et surtout la solution qui lui a été donnée en Suède apparaît maintenant comme une part de l’identité nationale. À ce titre, la question des drogues a cristallisé autour d’elle de multiples considérations morales et même religieuses. Ainsi, on peut trouver, chez certains auteurs, des rapprochements explicites entre des principes moraux d’inspiration protestante et les justifications de la politique menée en Suède. Il y aurait un fond religieux ancestral qui serait la cause profonde des politiques adoptées par la Suède sur cette question. Pourtant, on l’a vu, la mise en place du concept de société sans drogue doit davantage à une référence scientifique – si fantaisiste qu’elle ait pu être – qu’à une référence religieuse. De plus, aux Pays-Bas, pays dans lequel les protestants sont aussi largement représentés, les politiques de la drogue sont parmi les plus libérales au monde et sont fréquemment citées comme le parfait contre-exemple de la Suède.
La Hollande est le pays qui, dès les premières réunions internationales sur le sujet, a défendu le point de vue selon lequel une pénalisation sévère des stupéfiants entraînait une augmentation des productions illégales, de leur trafic, de leur abus et des activités criminelles qui y sont associées. La substance, en devenant illégale, se raréfie, son prix augmente et elle devient le monopole des organisations criminelles à qui elles procurent d’importantes sources de profits. C’est ainsi que, très tôt, dans les années 1960, la Hollande engagera un débat sur l’opportunité de la prohibition en soulignant ses effets pervers. Elle adoptera, elle-même, l’une des législations les moins répressives sur ces matières. Un consensus s’est fait jour dans ce pays qu’aucun autre pays n’a encore atteint : décriminaliser l’usage personnel, réaliser des campagnes d’information, mettre en place une politique de prise en charge active et efficace. Depuis la fin des années 1960, l’exemple de la politique hollandaise en matière de drogues est devenue un des arguments principaux des partisans de la dépénalisation. Ils font remarquer que, contrairement aux sombres pronostics des Etats les plus déterminés à poursuivre dans la voie de la prohibition, la consommation de drogue, lorsqu’elle est convenablement encadrée, lorsque ses risques sont clairement exposés au public, n’entraîne pas un déclin irrémédiable.
On leur rétorque cependant que la situation des Pays-Bas est bien trop spécifique pour servir de modèle à des pays de plus grande taille, d’organisation sociale plus complexe, etc., de sorte que la comparaison avec la Suède manquerait de pertinence. Tham conclut : « Il faut donc que la drogue représente quelque chose d’autre qu’elle-même. Elle est perçue, en Suède, comme une attaque aux traditions et à la culture nationale. » Or, si nous savons désigner ce « quelque chose d’autre qu’elle-même » du nom d’imaginaire, nous ne savons guère aller plus loin dans sa caractérisation.
La Suède et les Pays-Bas, bien qu’ayant des profils géopolitiques similaires, ont ainsi développé des rapports aux drogues très différents. Ce qui montre, à tout le moins, que les causes déterminantes d’une biopolitique ne peuvent pas être réduits aux seuls facteurs géopolitiques. En l’absence d’explications plus complètes, on en est donc finalement réduit à la seule explication qui fasse autorité lorsque les arguments logiques viennent à faire défaut : l’histoire. C’est en décrivant la façon dont s’est progressivement mise en place la situation qui prévaut aujourd’hui qu’on parvient à en rendre compte, sans qu’il soit possible d’invoquer une nécessité plus contraignante que la simple contingence historique.
Dans le cas des amphétamines et des drogues de synthèse en général, l’histoire de leur développement après leur interdiction passe par l’exposé des conséquences d’un des caractères qui leur est, par nature, attaché, à savoir la possibilité d’en effectuer la synthèse en tout lieu et à tout moment. Possibilité qui ne manquera pas, on s’en doute, d’être mise à profit pour la synthèse clandestine de ces substances.