L'hépatite chronique active
L’hépatite chronique active est une maladie dans l’ensemble plus grave que l’hépatite chronique persistante. Cependant, on tend actuellement à individualiser des formes de gravité variable à l’intérieur du cadre des hépatites chroniques actives.
L’anatomie pathologique
L’aspect histologique observé au cours des hépatites chroniques actives comporte trois éléments principaux : l’infiltration inflammatoire, la fibrose et enfin la nécrose hépatocytaire. Parfois, se superpose en outre sur la biopsie un aspect de cirrhose.
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L’inflammation
Comme au cours de l’hépatite chronique persistante, elle est faite de cellules mononucléées (lymphocytes et plasmocytes). Cependant ici l’infiltration inflammatoire n’est pas limitée à l’espace porte mais envahit le lobule hépatique.
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La fibrose
Il s’agit également d’une lésion qui occupe électivement les espaces portes, mais qui a elle aussi tendance à envahir les lobules. Ce faisant, elle rompt la lame bordante hépa- tocytaire ; elle tend à isoler certains amas d’hépatocytes, réalisant des aspects en rosette assez caractéristiques de cette forme d’hépatite. Cependant, en l’absence de cirrhose constituée, la disposition de la fibrose ne constitue pas de nodules de régénération.
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La nécrose hépatocytaire
La nécrose au cours de l’hépatite chronique active est soit focale — intéressant ça et là quelques hépatocytes —, soit parcellaire, affectant des hépatocytes de la lame bordante, qu’elle rompt (« piecemeal necrosis »). Dans certains cas plus rares, la nécrose semble disposée en pont entre deux veines centro-lobulaires ou entre une veine centro- lobulaire et un espace porte ; cette nécrose en pont (« bridging necrosis ») est de mauvais pronostic au cours de l’hépatite chronique active : elle annonce très souvent le passage à la cirrhose.
Rappelons que la nécrose en pont peut s’observer au cours des hépatites virales aiguës, mais elle n’a pas alors la même signification. La coloration à l’orcéine peut être positive en cas d’hépatite chronique active liée au virus B. La coloration est alors généralement moins abondante qu’au cours de l’hépatite chronique persistante.
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La cirrhose
L’hépatite chronique en elle-même ne comporte pas de noduies de régénération, et se distingue donc en cela de la cirrhose. Cependant, l’évolution de l’hépatite chronique active se faisant vers la constitution d’une cirrhose avec ses
nodules, il n’est pas rare de voir coexister sur une biopsie hépatique des aspects d’hépatite chronique active et de cirrhose constituée. Il est de même assez fréquent que la cirrhose soit déjà entièrement constituée lorsque la maladie est reconnue.
Une forme un peu particulière d’hépatite chronique active, l’hépatite chronique lobulaire, a été récemment individualisée. Dans ces cas assez rares, la nécrose focale atteint de façon préférentielle les hépatocytes du lobule hépatique au lieu de se localiser électivement dans les espaces portes. Il semble que cette variété d’hépatite chronique active n’ait pas le même potentiel évolutif que l’hépatite chronique active classique. D’une part, en effet, elle évolue volontiers par poussées successives marquées par une cytolyse importante et séparées par des rémissions complètes, et d’autre part le risque d’évolution vers la cirrhose semble chez elle moins important.
Les étiologies
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Les étiologies virales
Le virus B de l’hépatite porte à lui seul la responsabilité d’une grande part des hépatites chroniques actives. L’affection succède dans ces cas à un épisode ictérique initial qui a pu, cliniquement, être net ou anictérique, ou encore être passé totalement inaperçu. Les patients sont en général des hommes de 30 à 50 ans, chez qui l’antigène HBs est mis en évidence ainsi que l’anticorps anti-HBc et souvent l’antigène HBe. A côté du virus B, le (ou les) virus non-A, non-B peut (peuvent) être également en cause.
Le virus A, en revanche, n’est jamais responsable d’une hépatite chronique. Quelques cas d ‘hépatites chroniques actives ont pu être imputés au cytomégalovirus.
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L’hépatite chronique active auto-immune
Il s’agit d’une forme où on ne peut mettre en évidence aucun marqueur sérologi- que du virus B. Par contre, il existe des éléments évoquant une physiopathologie auto- immune. Ainsi peut-on observer un phénomène LE ; de même, des auto-anticorps antitissus sont retrouvés, tels des anticorps antimuscles lisses, des anticorps anti-noyaux et des anticoprs anti-mitochondries. Les lymphocytes périphériques de ces patients sont cytotoxiques pour les hépatocytes pathologiques, et ils gardent leur cytotoxicité si on les met en présence d’hépatocytes sains. Une partie des réactions conduisant à l’hépatite chronique active tombe sous la dépendance de phénomènes de cytotoxicité cellulaire anticorps-dépendante.
La présence du phénomène LE et des anticorps anti-noyaux a fait initialement utiliser pour cette forme d’hépatite chronique active le terme d’hépatite lupoïde, aujourd’hui abandonné. On la voit préféren- tiellement chez les femmes jeunes entre 10 et 20 ans, avec un second pic de fréquence aux alentours de la ménopause.
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L’étiologie alcoolique
Une biopsie hépatique pratiquée chez un patient alcoolique montre parfois un aspect histologique très voisin de celui qui est réalisé dans l’hépatite chronique active. Il est alors difficile de déterminer dans la genèse de l’hépatite ce qui revient à l’alcool et ce qui est imputable à un èvetuel facteur ètiologique surajoutè
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L’hépatite chronique active d’étioloeie indéterminée
Il est de formes où l’on ne trouve aucune étiologie. L’inventaire des prises médicamenteuses du patient doit toujours être minutieux, car les produits susceptibles d’être hépatotoxiques sont extrêmement nombreux. Parmi ceux qui peuvent être responsables d’une hépatopathie apparentée à l’hépatite chronique active, il convient de citer l’alpha-méthyldopa, l’isoniazide, le ma- léate de perhexiline, et l’oxyphénisatine .
Dans quelques cas enfin, aucun facteur étiologique n’est retrouvé, aucune prise médicamenteuse n’est relevée. Il est alors nécessaire de rechercher un déficit en alpha-antitrypsine, ce déficit pouvant rendre compte d’un nombre finalement important d’hépatites chroniques actives dont l’étiologie restait jusqu’à présent mystérieuse.
La clinique, les examens complémentaires et l’évolution
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Les formes habituelles
— Les signes fonctionnels. L’hépatite chronique active est le plus souvent annoncée par une asthénie associée à une anorexie et à un amaigrissement, avec parfois douleurs de l’hypocondre droit. L’ictère vient souvent enrichir ce tableau révélateur.
— L’examen clinique. A l’examen, on constate une hépatomégalie ferme et parfois sensible, volontiers accompagnée d’une splénomégalie. On observe souvent dès le premier examen des signes d’insuffisance hépato-cellulaire, en particulier de angiomes stellaires .
Les examens complémentaires
Les transaminases sont généralement modérément élevées. L’élévation de la bilirubine est évidemment parallèle à l’intensité de l’ictère. Les phosphatases alcalines sont normales ou modérément élevées. L’élévation des gammaglobulines, ave augmentation polyclonale des IgG, des IgM et des IgA, est fréquente et assez caractéristique de l’hépatite chronique active.
L’élévation des immunoglobulines porte souvent préférentiellement sur les IgG. L’élimination de la BSP est toujours perturbée.
La biopsie hépatique est pratiquée lorsqu’on s’est assuré du caractère chronique de l’hépatopathie, c’est-à-dire lorsqu’il est établi que les anomalies biologiques hépatiques persistent depuis six mois au moins. Ce geste exige la vérification préalable de l’hémostase. En cas d’hémostase incompatible avec une biopsie hépatique transcutanée, une biopsie hépatique transjugulaire peut être pratiquée. Dans ce cas, le fragment biop- sique recueilli est en général de petite taille, et l’interprétation peut être encore plus difficile.
Outre celles que pose la taille du fragment de biopsie, il existe d’autres difficultés d’interprétation, liées à la variation histologi- que possible d’une zone à l’autre (voir ci-dessus). Quoi qu’il en soit, une répétition éventuelle de la biopsie hépatique permet en général de poser le diagnostic d’hépatite chronique active, et également de tenter de quantifier le degré dactivitè de la maladie.ce
degré d’activité est essentiellement lié à l’intensité de la nécrose et de la réaction inflammatoire, et à l’abondance de la fibrose. Cette notion de degré d’activité a une importance pronostique considérable. En effet, les formes à activité histologique modérée ont un pronostic d’ensemble meilleur que les formes à activité histologique marquée.
Les manifestation extra-hépatiques.
Au cours des hépatites chroniques actives, de nombreuses manifestations extra-hépatiques sont possibles. Il peut s’agir d’éruptions cutanées, d’arthralgies périphériques, et d’un syndrome sec, dit « de Gougerot-Sjogren ». Des désordres endocriniens sont fréquents, traduits en particulier par une aménorrhée chez la femme. En outre, peuvent s’observer des manifestations pleuro-pulmonaires (épan- chements pleuraux, infiltrats ou fibrose pulmonaires), des atteintes rénales (glomérulo- néphrites et acidose tubulaire), des anémies hémolytiques auto-immunes, une thyroïdite auto-immune, une maladie de Biermer et enfin des polynévrites. Ces manifestations extra-hépatiques s’observent surtout au cours de l’hépatite chronique active auto-immune ; la survenue en est beaucoup plus rare au cours de l’hépatite chronique liée au virus B. Une pathologie par complexes immuns en serait en partie responsable.
l’évolution
L’hépatite chronique active est une maladie grave, mais il existe d’importantes variations a’un cas à l’autre. La passage à la cirrhose est la règle : cette évolution est particulièrement rapide au cours de l’hépatite chronique active auto-immune, forme toutefois plus accessible au traitement corticoïde. Au cours de l’hépatite chronique liée au virus B, la cirrhose peut rapidement se compliquer de carcinome hépato-cellulaire.
A l’inverse, il existe indiscutablement des cas d’hépatite chronique active évoluant favorablement
soit en se stabilisant, soit en passant à une forme apparentée à l’hépatite chronique persistante. Enfin, une hypertension por- tale se constitue généralement, encore que cette complication soit assez tardive. Une encéphalopathie hépatique peut également survenir et constituer la cause du décès.
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Les formes asymptomatiques
Il s’agit d’Tïépatites chroniques actives découvertes de façon forfuite, par exemple à l’occasion d’un don du sang ou d’un examen biologique systématique ; ainsi trouve-t-on des anomalies hépatiques chez des sujets par ailleurs en apparence sains. Le diagnostic, d’hépatite chronique active est posé sur les données d’une biopsie hépatique, pratiquée lorsque les anomalies biologiques hépatiques persistent depuis plus de six mois. De telles formes semblent pouvoir être longtemps bien tolérées.
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Les formes cholestatiques
Il s’agit de formes particulières d’hépatite chronique active, accompagnées d’une élévation importante de la bilirubine, avec forte prédominance de la bilirubine conjuguée, et augmentation, importante également, des phosphatases alcalines. Ces formes cholestatiques sont les plus difficiles à distinguer de la cirrhose biliaire primitive. Classiquement, elles réagissent bien au traitement corticoïde, alors que celui-ci reste sans effet sur la cirrhose primitive.
Le diagnostic différentiel
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Hépatite chronique active et hépatite virale
Le diagnostic d’hépatite virale aiguë ne se pose que devant une élévation importante
des transaminases, chez un patient porteur d’une pathologie hépatique jusqu’alors méconnue. Il faut ici insister à nouveau sur la nécessité d’attendre au moins six mois pour pratiquer une biopsie hépatique et être en droit de parler d’hépatite chronique.
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Hépatite chronique active et maladie de Wilson
La maladie de Wilson peut se présenter en apparence comme une hépatite chronique active, l’histologie étant souvent aspécifi- que. En faveur de la maladie de Wilson, on retiendra l’existence d’une hémolyse, d’antécédents familiaux, et surtout la présence d’un anneau de Kayser-Fleischer, visible sur la cornée à l’examen à la lampe à fente. En outre il existe une cuprémie basse, une céruléo- plasmine sanguine basse et une cuprurie élevée .
En raison des possibilités thérapeutiques existant pour cette maladie, il est fondamental de rechercher un anneau de Kayser- Fleischer et d’explorer le métabolisme du cuivre au cours de toute hépatite chronique active (ainsi qu’au cours de toute cirrhose) constatée avant 30 ans. Enfin, au cours de la maladie de Wilson, le cuivre hépatique est élevé.
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Hépatite chronique active et cholangite sclérosante
Une cholangite sclérosante est à évoquer devant une forme de cholestase marquée. Dans ce cas, la cholangiographie rétrograde montrerait des anomalies caractéristiques des voies bilaires intra-hépatiques.
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Hépatite chronique active et hépatite alcoolique
Comme on l’a vu ci-dessus, un aspect histologique en imposant pour une hépatite chronique active peut être observé au cours de certaines hépatopathies chroniques liées à l’alcool. Dans ce cas, le problème est essentiellement d’éliminer une autre cause d’hépatopa- thie chronique surajoutée, essentiellement en raison des conséquences thérapeutiques de cette étiologie.
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Hépatite chronique active et cirrhose bilaire primitive
Les formes cholestatiques des hépatites chroniques actives peuvent prêter à confusion avec la cirrhose biliaire primitive, surtout aux stades tardifs de cette dernière, où l’histologie est peu spécifique.
Le traitement
- Les corticoïdes
Ils sont utilisés sous forme de predni- sone ou de prednisolone à la dose de 0,5 à 1 mg/kg/j. Il est reconnu actuellement que les hépatites chroniques actives liées au virus B sont peu influencées par la corticothérapie. Une telle thérapeutique serait peut-être même néfaste dans ces hépatites ; ainsi, elle prolongerait la présence des marqueurs du virus B. La tendance actuelle est donc de réserver les corticoïdes aux hépatites chroni- ues actives pour lesquelles aucun marqueur u virus B n’est retrouvé.
Les hépatites chroniques auto- immunes sont celles qui tirent le plus grand bénéfice de ce traitement. Dans ces formes, on obtient généralement une diminution de l’ictère et de l’asthénie avec une diminution importante des transaminases. Une amélioration histologique concomitante est la règle.
La durée du traitement n’est pas facile à préciser. Il peut, semble-t-il, être interrompu lorsque les signes d’activité histologiques et biologiques de la maladie ont disparu. Cependant, la rechute est fréquente au bout de quelques mois. Dans ces cas, une reprise de la corticothérapie permet souvent d’obtenir une nouvelle amélioration. Chez certains patients, la corticothérapie doit être poursuivie indéfiniment. Elle peut alors être associée à un immuno-dépresseur, l’azathioprine étant le plus utilisé (à la dose de 50 à 100 mg par jour).
- Les antiviraux
Ils constituent les traitements modernes de l’hépatite chronique liée au virus B. Deux antiviraux ont été essentiellement essayés jusqu’à présent.
Le premier est l’interféron ; les études menées pour apprécier son action sont dans l’ensemble contradictoires. L’adénine- arabinoside (ARA-A) est actuellement l’objet d’études multiples et intensives. Elle semble capable d’obtenir une amélioration biologique, de diminuer le titre de l’antigénémie HBs, et, dans quelques cas, d’entraîner une séroconversion de l’antigène HBe à l’anticorps anti-e. Le protocole donnant la meilleure efficacité est encore l’objet de tâtonnements. L’adénine-arabinoside est actuellement le plus souvent employée par voie intraveineuse. Une forme utilisable par voie intramusculaire est à l’étude.
L’autre antiviral dont l’utilisation est sérieusement envisagée dans les hépatites chroniques actives liées au virus B est l’acy- clovir. Actuellement cet antiviral trouve son indication essentielle dans les infections herpétiques ; son utilité dans les hépatites chroniques B devrait être bientôt étudiée.
Vidéo: L’hépatite chronique active
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