La psychopathologie du vieillissement : les états dépressifs
La dépression est un état à sévérité variable. Un nombre grandissant de personnes de tous les âges en sont victimes. Selon certaines recensions (Cappeliez, 1988 ; Newman, 1989), le pourcentage de la population des plus de 65 ans témoignant de symptômes dépressifs serait d’environ 15 %. En considérant le fait de l’augmentation tendancielle du nombre des âgés, la dépression pour ce groupe d’âge est devenue un fait de société. Elle s’exprime le plus souvent à travers deux tableaux cliniques, l’état dépressif majeur et le trouble maniaco-dépressif.
Qu’est-ce que la dépression ?
Distinguer l’état dépressif majeur de l’état dépressif banal est en fait impossible. Il s’agit d’une question de degré. Ce que l’on appelle communément «un coup de cafard», dont on a tous été victime, ne peut pas être considéré comme une dépression grave. Mais dans tous les cas les personnes dépressives témoignent de changements cognitifs et comportementaux caractéristiques. Elles sont apathiques, démotivées et sensibles uniquement aux faits négatifs de leur vie ce qui crée un feed-back de renforcement de leur état. Elles sont souvent habitées d’idées suicidaires avec parfois un passage à l’acte. Le trouble devient majeur lorsque l’état perdure au-delà de plusieurs semaines. Les symptômes sont alors les suivants : insomnie, léthargie, anorexie, isolement social, forte dégradation de l’estime de soi, sentiment d’externalité. Les femmes en sont deux fois plus victimes que les hommes (entre 6 et 10 % pour les hommes et 12 et 20 % pour les femmes).
Sous sa forme maniaco-dépressive, le tableau est différent. La personne alterne entre des états dit «maniaques» durant lesquels elle est hyperactive, enthousiaste, faisant des projets souvent inconsidérés et témoignant d’un optimisme démesuré, et des états dépressifs dont les symptômes ont été décrits dans le paragraphe précédent. Les maniaco-dépressifs recherchent souvent des conseils auprès de leurs proches et n’en tiennent souvent pas compte. Ils irritent souvent leur entourage par leur côté imprévisible. Sous sa forme paroxystique, il s’agit d’un état psychotique (psychose maniaco- dépressive).
Quelle que soit leur forme, les dépressions durent dans la plupart des cas moins de trois mois. Elles sont souvent associées à des événements traumatiques de la vie quotidienne : accident, divorce, deuil, veuvage, chômage, naissance.
L’évaluation d’un état dépressif chez la personne âgée
Dans de nombreuses recherches, on utilise maintenant des auto-questionnaires de dépression ou des échelles de bien-être subjectif que le sujet doit remplir lui-même. Le bien-être subjectif est le niveau de plaisir à vivre que la personne a conservé.
Echelle de bien-être subjectif (d’après Derouesné et al., 1989)
On demande à la personne de donner une note comprise entre 0 et 10 pour chaque question.
- Quelle note de satisfaction donneriez-vous à votre existence actuelle ?
- Quelle note donneriez-vous aux aspects positifs de la vieillesse ?
- Etes-vous enclin à rechercher les contacts sociaux ?
- Face aux difficultés de la vie, comment évaluez-vous votre capacité à les surmonter ?
- Comment évaluez-vous votre intérêt pour l’actualité ?
- Comment évaluez-vous votre capacité à prendre des initiatives ?
- Comment évaluez-vous votre confiance en vous face aux situations nouvelles ?
- Comment évaluez-vous votre ¡oie de vivre ?
- Comment évaluez-vous l’importance de votre rôle dans votre famille ?
- Comment évaluez-vous l’importance de votre rôle parmi vos amis ?
- Comment évalue-vous l’importance de votre rôle dans la société ?
L’état dépressif et le vieillissement
L’état dépressif est fréquent quelle que soit la tranche d’âge considérée. Si 15 à 20 % de la population témoignent de symptômes dépressifs, l’état dépressif majeur ne concerne que 2 à 5 % des personnes. Une idée répandue est que le pourcentage de dépressions graves augmente après 65 ans. Les enquêtes ne semblent pas confirmer cette idée reçue. Selon Blazer et al. (1987), 1 % seulement des personnes de plus de 60 ans sont sévèrement dépressives. Nolen-Hoeksema (1988) rapporte 4 % de dépressions graves, mais chez les jeunes. Il semble donc, selon ces enquêtes, que la dépression est un phénomène important chez la personne âgée mais qu’elle n’est en rien spécifique à ce groupe d’âge et qu’elle n’augmente pas après 60 ans. Si le nombre de cas de personnes âgées consultant pour dépression augmente, c’est parce que le nombre global de personnes âgées augmente. Par ailleurs, il faut noter que dans les enquêtes seules les personnes ne témoignant pas de symptômes démentiels sont interrogées, ce qui donne évidemment un tableau de la situation un peu biaisé.
Le traitement de la dépression
La dépression est la maladie psychiatrique la mieux soignée. Les traitements sont multiples. Nous évoquerons seulement certains traitements pharmacologiques et psychothérapeutiques.
Il est connu que la dépression est liée d’un point de vue neurophysiologique à une anomalie dans le fonctionnement de deux systèmes de neurotransmetteurs, la sérotonine et la noradrénaline. Un neurotransmetteur est une substance synthétisée par le neurone au niveau de ses terminaisons et qui permet la transmission de l’influx nerveux. De nombreuses maladies neurologiques sont dues à des problèmes de neurotransmetteurs. Deux types de médicaments sont utilisés, les antidépresseurs et les inhibiteurs. En 1986, une nouvelle catégorie d’antidépresseurs est apparue sur le marché dont le représentant le plus connu est le Prozac® et dont les effets secondaires sont mineurs. Son efficacité dans le traitement des états dépressifs »graves est avérée. On estime à plus de dix millions le nombre de personnes utilisant dans le monde ce médicament. Par ailleurs, les sels de lithium sont souvent utilisés pour contrôler la phase maniaque de la psychose maniaco-dépressive.
Depuis quelques années, de nouvelles formes de psychothérapie sont apparues dans le traitement en particulier des dépressions. Ces nouvelles prises en charge sont appelées les thérapies cognitives. Elles reposent sur trois hypothèses (Beck et al., 1979 ; André, 1995) Tout d’abord, nos difficultés psychologiques sont provoquées non pas par les événements de notre vie mais par la représentation que nous nous en formons. Nos troubles psychologiques sont donc inhérents à notre style de pensée. Ensuite, il est possible de modifier nos styles de pensée. Enfin, modifier nos styles de pensée entraîne des modifications dans nos comportements et dans nos émotions. Le thérapeute, dans son interaction active avec le patient, aide donc celui-ci à construire de nouvelles représentations plus positives et par là même agit sur sa relation au monde. L’application de ce type de thérapie à des personnes âgées dépressives semble donner des résultats positifs (Beutler, et al. 1987).
Cappeliez et Latour (Cappeliez et Latour, 1993 ; Cappeliez, 1988, 1991 ; Latour et Cappeliez, 1991) de l’Université d’Ottawa ont développé des programmes de thérapie cognitive en groupe pour des patients dépressifs âgés. La finalité était d’aider les patients à retrouver un niveau fonctionnel d’activité, à identifier leurs croyances et leurs représentations négatives, à évaluer et à modifier ces représentations négatives et, enfin, à construire un réseau de soutien social. Le traitement comprenait douze sessions hebdomadaires de quatre-vingt dix minutes. Chacune était consacrée à un thème particulier tel que la démystification de la dépression ou l’identification des pensées négatives. Les résultats sont encourageants, les personnes participantes ont témoigné d’une amélioration plus marquée et plus rapide de leur état dépressif en comparaison avec les résultats d’autres psychothérapies. Le travail en groupe apparaît aussi comme un renforçateur positif de ce type de thérapie dans le cadre des dépressions.
Le suicide
Le suicide est la conséquence d’un état dépressif auquel un individu décide de mettre un terme définitif. Environ douze mille personnes par an se donnent la mort en France. Ce chiffre augmente régulièrement. Il est plus fréquent chez l’homme que chez la femme.
Le grand sociologue français Durkheim (1897), référence incontournable dès que l’on aborde cette question, considérait le suicide comme le témoin du niveau de normalité d’un groupe social. Il résulte selon lui d’une dégradation de la cohésion sociale. Sa célèbre typologie définit quatre catégories de suicide : l’égoïste, l’altruiste, l’anomique et le fataliste. Ils sont chacun liés à un dysfonctionnement social. L’égoïste est lié à une faible intégration sociale, l’altruiste à une trop forte intégration, l’anomique est lié à un excès de réglementation du groupe social et le fataliste à une absence de réglementation du groupe social. Il semble que l’augmentation du nombre de suicides dans la plupart des pays industriels soit provoquée par un manque d’intégration sociale (suicide de type égoïste) de certains groupes. On se suicide d’ailleurs beaucoup plus dans les pays riches que dans les pays pauvres qui ont souvent conservé des structures sociales traditionnelles (en particulier la famille) qui évitent l’exclusion d’une partie de la population.
L’examen des statistiques révèle que deux catégories de personnes sont particulièrement concernées. Il s’agit des jeunes et des âgés. Depuis 1950, le nombre des suicides chez les 15-19 ans a plus que triplé aux États-Unis. Si le phénomène a d’abord été observé aux États-Unis, il est maintenant constaté en Europe, particulièrement en Allemagne et en France. En conséquence, le taux de suicide de cette tranche d’âge est devenu comparable à celui de la population globale. Il s’agit d’un fait de société inquiétant qui nécessite d’être vigilant afin de détecter chez les jeunes en danger des indices qui laissent présager un acte irréversible.
Chez les âgés, le taux est aussi très élevé mais le phénomène n’est pas nouveau. Il présente des aspects différents selon les pays. Aux États-Unis, ce sont les hommes blancs de plus de 65 ans qui se suicident le plus souvent alors que les femmes blanches et les âgés de race noire présentent un taux moins élevé de suicide. En revanche, au Japon les plus de 75 ans se suicident cinq fois plus que les 15-24 ans et en France six fois plus. Le taux dans notre pays est d’environ trente pour cent mille.
Certains aspects méritent d’être soulignés afin de mieux cerner le phénomène. Tout d’abord, chez les jeunes on constate un suicide pour sept tentatives manquées. En revanche, chez les âgés on observe huit suicides pour une tentative ratée. Cette inversion est particulièrement éloquente. Chez les jeunes, la tentative de suicide est très souvent un appel à l’aide qui ne signifie pas un réel désir de mourir. Chez les âgés, il apparaît comme une véritable volonté, dans la plupart des cas, de mettre fin à ses jours (Osgood, 1985). Ensuite, la moitié des hommes âgés suicidaires et un tiers des femmes sont atteints de maladies graves, en particulier des cancers ou des pathologies concernant le cerveau (Whitlock, 1986). Enfin, le suicide chez les âgés est souvent associé à un état dépressif consécutif à la mort du conjoint.