La nicotine: une médication pour demain ?
Comme nous l’avons vu, lors de son introduction en Europe, le tabac qu’il soit fume, ingère, administre par voie rectale ou en emplâtre était considère comme un médicament et pour certains une panacée ; tout ceci a progressivement été oublie au fil des siècles, surtout depuis que les risques multiples et graves qu’il pouvait entraîner ont été reconnus. Très curieusement depuis une date toute récente, cette notion resurgit sur des bases solides et scientifiques a la suite des travaux des epidemiologistes et des progrès de la neuro-pharmacologie .
Les épidémiologiques, au cours d’etudes systematiques sur les risques du tabac ont eu la surprise de voir que cer- taines affections apparaissaient moins fréquentes chez les fumeurs que chez les non-fumeurs: la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer, la recto-colite hemorragique ou colite ulcéreuse sont les trois affections ou les données sont les plus solides. Mais on a signale également le merde fait pour certaines arthroses et pour le cancer du corps de l’utérus, alors qu’au contraire pour le cancer du col de l’uterus, le tabac joue un rôle aggravant important. parallèlement, les progrès de la neurobiologie ont permis de décrire les nombreuses actions psychotropes de la nicotine et de comprendre ces constatations cliniques. Les propriétés de la nicotine ont même conduit a proposer celle-ci comme thérapeutique adjuvante de certaines de ces affections.
Maladie de Parkinson
Cette maladie neurologique est liée a la dégénérescence progressive d’un ensemble fonctionnel bien détermine du cerveau, le système dopaminergique. Indiscutablement il y a une relation inverse entre la maladie de Parkinson et le fait de fumer, les fumeurs étant deux fois moins atteints que les non-fumeurs.
Les propres récents permettent d’expliquer ce meca- nisme: la maladie de Parkinson est liée a la perte progressive de l’activite des neurones dopaminergiques, eux-memes dépendants de la présence des récepteurs nicotiniques dont le nombre diminue peu a peu. Or, comme nous l’avons vu, chez les fumeurs, sous l’action des apports de nicotine, le nombre de récepteurs nicotiniques augmente. Le rapprochement de ces deux notions a évidemment conduit a des essais d’utilisation de la nicotine dans cette affection, par ailleurs toujours difficile a traiter . En administration aiguë, par injections sous-cutanées ou intraveineuses, ou simplement par le fait de fumer une cigarette, le tremblement et la rigidité musculaire diminuent, mais très transitoirement. Des études récentes ont évalue les effets possibles de la gomme ou du timbre-nicotine avec administrations altesses par périodes de 5 jours du produit actif ou du «placebo »: les signes de la maladie s’ameliorent pendant les phases avec produit actif et récidivent lors des périodes «placebo ». La tolérance est bonne, chez des sujets non fumeurs, a condition de commencer a faibles doses et d’augmenter progressive- ment celle-ci. Mais ces résultats sont tout a fait préliminaires et des études contre «placebo » sont actuellement en cours pour évaluer l’interet réel de cette nouvelle approche et son association possible aux thérapeutiques classiques.
Maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer, ou démence sénile, est une affection neurodegenerative redoutable, caractérisée par une détérioration rapide des fonctions intellectuelles. D’apres les données epidemiologiques, le tabagisme exercerait un certain effet protecteur contre la survenue de la maladie d’Alzheimer, principalement dans la forme familiale de l’affection. Les mécanismes de la maladie sont complexes, mais le rôle d’une alteration du fonctionnement des récepteurs nicotiniques dans le cortex cérébral a ete bien démontre. Des essais préliminaires ont été récemment effectues: la nicotine en administration aiguë a exerce une action favorable partielle et très transitoire sur certaines fonctions cognitives, tels le recueil et la mémorisation de l’information, les tests d’ap- prentissage, l’attention visuelle. La encore, des études sont en cours pour évaluer l’interet de la nicotine en association éventuelle aux autres médications maintenant disponibles.
Autres affections neurologiques
Dans d’autres affections neurologiques et neuro-psychiques, la nicotine parait exercer aussi un effet protecteur. — C’est le cas du syndrome de Gilles de La Tourette, ou maladie des tics: ce sont des mouvements involontaires, brefs, qui reproduisent un geste habituel; ils sont fréquents chez l’enfant, mais peuvent persister a l’age adulte et devenir socialement invalidants par leur intensité ou s’ils s’accompagnent de paroles incongrues; ils sont souvent associés a une pathologie psychiatrique, le trouble obsessionnel compulsif. Cette affection apparait plus rarement chez les fumeurs; très curieusement des observations ont ete rapportées, ou des tics, pourtant presents depuis des années, ont disparu pendant plusieurs semaines après une seule administration de nicotine par timbre. — Le rôle thérapeutique possible de la nicotine dans le curieux syndrome d’hyperactivite de l’enfant a ete récemment suggère; en effet, dans les quelques cas ou la maladie persiste a l’age adulte, elle semble plus rare chez les fumeurs et surtout elle a pu être améliorée par 1’administration de nicotine par gomme ou timbre. Mais, en revanche, le taba- gisme maternel pendant la grossesse favoriserait 1’apparition de ce trouble chez l’enfant.
Maladies inflammatoires de l’intestin
Le cas des maladies inflammatoires de l’intestin grele et du colon est troublant. Le tabagisme est un des facteurs exogènes les plus importants pour la survenue de la maladie de Crohn, inflammation chronique de l’intestin grele, avec manifestations cliniques sévères; l’arret du tabac est un facteur essentiel du pronostic. Inversement, pour la recto-colite hemorragique (RCH), le tabagisme apparaît comme un élément protecteur important. L affection est près de deux fois moins fréquente chez les fumeurs et les ex-fiimeurs que chez les non-fiimeurs, et les modifications dans l’usage du tabac rythment parfois de fa?on spectaculaire révolution de la maladie.
Tel est le cas d’une jeune femme atteinte d’une forme sévère de RCH: des troubles intestinaux atténues semblent avoir débute vers l’age de quinze ans; elle a commence a fumer vers dix-huit ans et augmente progressivement sa consommation de cigarettes jusqu’a un paquet par jour; elle n’a alors jamais plus rien ressenti jusqu’a vingt-cinq ans.
A cette date, pour un projet de grossesse, elle a cesse de fumer sans difficultes apparentes; quelques semaines, plus tard des troubles intestinaux rapidement graves, avec diarrhées sanglantes, sont apparus; le diagnostic de RCH a été porte et l’amelioration n’a ete que partielle avec les traitements usuels. Par contre, quelques mois plus tard, elle a recommence a fumer et en quelques jours tout le transit intestinal est redevenu normal. Dans les deux années suivantes, a trois reprises, le même phénomène s’est reproduit avec une rémission de la maladie lorsqu’elle reprend la cigarette et a nouveau des troubles des qu’elle arrete de fumer.
Pour elle, le lien est évident, mais les spécialistes consults etaient toujours restes incredules… Depuis, ce fait a été décrit et est devenu « classique». La nicotine est maintenant utilisée comme traitement associe dans cette affection. Plusieurs études préliminaires randomisées, contre « placebo », effectuées avec le timbre-nicotine ont montre une efficacité indiscutable.