Dette de sommeil et vieillissement
Des chercheurs japonais, étudiant des travailleurs faisant beaucoup d’heures supplémentaires, ont retrouvé une relation directe entre la survenue d’une hypertension artérielle et leur dette de sommeil, car le manque de sommeil pourrait augmenter l’activité du système nerveux sympathique, le lendemain, conduisant à une augmentation de la pression sanguine et de la fréquence cardiaque. Puis, des chercheurs de l’Université de Chicago prirent un groupe de jeunes adolescents et les gardèrent éveillés tous les jours jusqu’à 1 heure du matin, en les réveillant ensuite à cinq heures du matin. Après six nuits de quatre heures de sommeil, ces hommes jeunes, d’une vingtaine d’années, avaient des taux de cortisol typiques d’hommes de 60 ans. Il semble que le corps ait perçu le manque de sommeil comme un stress et qu’il y ait répondu par la sécrétion de cortisol. De plus, le manque de sommeil aurait des effets sur les fonctions métaboliques: la tolérance au glucose était plus faible, avec une diminution de la sécrétion d’insuline et de la sensibilité à l’insuline dans le groupe en dette de sommeil. Enfin, l’activité du système nerveux sympathique était augmentée. Une dette de sommeil semble donc avoir les mêmes effets que le vieillissement ou le diabète débutant, probablement du fait d’un dysfonctionnement des neuromédiateurs : sérotonine, dopa- mine. La dette de sommeil tendrait enfin à diminuer la sécrétion nocturne d’hormone de croissance.
Ces effets sont similaires à ceux observés dans le vieillissement normal et donc, le manque de sommeil peut augmenter la sévérité des maladies chroniques liée à l’âge. Ainsi, des maladies dépendantes de la sécrétion de cortisol, comme l’hypertension, le diabète, l’obésité, les pertes de mémoire peuvent être aggravées par une dette de sommeil chronique.
Une autre étude sur plus de 71000 infirmières trouva que les infirmières qui dormaient moins de cinq heures par nuit avaient 82 % plus de risques d’accidents cardiaques que celles qui dormaient une moyenne de huit heures, tandis que celles qui dormaient six heures avaient un risque augmenté de 30 % et celles qui dormaient plus, soit neuf heures, avaient un risque augmenté de 57 %. Les infirmières en manque de sommeil avaient de plus une tension artérielle plus élevée et une diminution de la tolérance au glucose, avec un risque de survenue du diabète accru.
Ceci serait confirmé par une autre étude qui, centrée sur des hommes et femmes en bonne santé d’une trentaine d’années, soumis à des nuits courtes de moins de six heures et demi, durant huit jours, révéla une moindre sensibilité à l’insuline que ceux qui avaient dormi sept à huit heures. Le manque de sommeil empêcherait l’insuline de fonctionner correctement, augmentant le risque ultérieur d’apparition d’un diabète. La durée du sommeil et la qualité seraient des indicateurs prédictifs importants de l’Hémoglobine Aie, un marqueur clé de l’équilibre glycémique. Comme la dette de sommeil entraîne une augmentation du risque de diabète, les chercheurs suggèrent qu’il faille optimiser au maximum la durée et la qualité de sommeil chez les patients atteints de diabète de type 2, afin d’améliorer le contrôle de leur taux de sucre sanguin.
Ainsi, le Dr Vgontzas, de Pennsylvanie, a trouvé que le sommeil profond avait une influence inhibitrice sur l’axe hypothalamo-hypophysaire, alors que l’activation de cet axe ou l’administration de glucocorticoïdes pouvait conduire à l’éveil et l’insomnie. L’insomnie entraîne une augmentation de la sécrétion d’ACTH et de cortisol, du fait de l’hyperexcitation du système nerveux central. La somnolence diurne excessive, liée à des apnées du sommeil, à la narcolepsie, ou à une hypersomnie idiopathique, favoriserait une augmentation de 30 à 40 % des marqueurs sanguins de l’inflammation, les cytokines pro-inflammatoires IL-6 et/ou le TNF-alpha (tumor necrosis factor), indiquant un risque de maladies cardiaques ou de maladies inflammatoires chroniques. Or la privation de sommeil conduit aussi à la somnolence diurne et à l’hypersécrétion d’Interleukine. L’ensemble de ces résultats suggère que l’axe hypothalamo-hypo- physaire stimulerait l’éveil, tandis que l’interleukine-6 et le TNF-alpha favoriseraient la somnolence diurne excessive chez l’homme.
Le Dr Moldofsky de Toronto, au Canada, a étudié l’effet de 40 heures de veille sur une variété de paramètres immunologiques dans le sang. La privation de sommeil nocturne a entraîné une augmentation des taux d’interleukine-1 et d’interleukine 2 et une réduction de la production et de l’activité des cellules immunitaires : lymphocytes, cellules NK. Le système immunitaire humain profite du temps de sommeil pour se régénérer: ainsi, des rats manquant de sommeil auraient été plus vulnérables aux virus et aux bactéries.
Le Dr Eve Van Cauter, de l’université de Chicago, a montré que lorsque l’on vieillit, le pourcentage de sommeil profond diminue, à partir de la trentaine, avec une diminution de la sécrétion d’hormone de croissance. Le sommeil profond est remplacé par un sommeil plus léger, sans diminution du sommeil de rêve (REM sleep). Quand, ensuite, on passait de la quarantaine à la soixantaine, on retrouvait une augmentation du temps d’éveil de 28 minutes par décennie au détriment de tous les stades de sommeil. Quel que soit l’âge, le taux de sécrétion d’hormone de croissance est significativement lié à la quantité de sommeil profond, alors que l’augmentation de la sécrétion de cortisol est surtout nette à partir de la cinquantaine, lorsque le sommeil devient plus fragmenté, avec moins de sommeil de rêve (REM sleep). Ainsi, les changements de la qualité et quantité de sommeil liés à l’âge sont associés à des variations hormonales : hormone de croissance et cortisol.
Selon le Dr Dew, de l’université de Pittsburgh, les personnes âgées qui souffrent d’insomnie de début ou de milieu de nuit auraient plus de risques de décéder que ceux qui dorment bien. Des patients âgés de 59 à 91 ans qui passaient plus de 30 minutes chaque soir à tenter de s’endormir avaient plus de deux fois plus de risque de mourir durant les 13 années suivantes que ceux qui s’endormaient plus rapidement. De plus, ceux qui avaient le moins de temps de sommeil de rêve (REM sleep) avaient deux fois plus de risque de décéder que ceux qui avaient un temps de rêve dans la moyenne.
Ainsi, le stress chronique, dont le manque de sommeil, favorise le vieillissement. Il faut donc savoir se préserver un temps de sommeil suffisant, avec une heure de coucher plus précoce, afin d’être complètement reposé le lendemain matin au réveil. Les recherches les plus récentes montrent que pour vivre longtemps, il vaudrait mieux éviter de dormir plus de huit heures et moins de six heures, car dans les deux cas, on observerait plus d’accidents cardio-vasculaires. Le temps optimal de sommeil pour un adulte serait entre six et sept heures de sommeil. D’ailleurs, les populations de centenaires tendent aussi à avoir leurs sept heures de sommeil.
Or, lorsque l’on vieillit on dort moins longtemps en sommeil profond, mais le temps de sommeil de rêve (REM sleep) reste à peu près constant. Cela peut être lié à des changements de style de vie, d’exposition à la lumière du jour, une moindre stimulation cérébrale durant la journée, des douleurs nocturnes, des médicaments, des problèmes psychologiques ou une plus grande tendance à aller uriner durant la nuit.