Une irrésistible envie de lunettes
Des cas apparemment plus bénins nécessitent aussi une évaluation précise. Ainsi il n’est pas rare en ophtalmologie de voir en consultation des petites filles de huit à dix ans qui se plaignent de « ne plus bien voir ce que la maîtresse écrit au tableau ». Et invariablement, on apprend que la grande sœur ou la meilleure amie vient de se faire prescrire des lunettes. Tout aussi régulièrement, l’examen de la vue se révèle parfaitement normal. C’est le désir de lunettes qui est à la base de la « baisse de vision » chez ces jeunes coquettes généralement plus intéressées par les montures que par les verres proprement dits. Certains ophtalmologistes résolvent le problème en prescrivant des verres neutres ou presque neutres, des placebos de lunettes en quelque sorte, alors que d’autres s’y refusent par principe. Qui a raison ? Il est vrai que, le plus souvent, dès qu’il est satisfait, le désir devient moins prégnant et que les lunettes sont rapidement négligées. Mais est-il nécessaire ou même souhaitable d’ancrer ces enfants dans leur fantasme de mauvaise vision? Ne vaudrait-il pas mieux les amener à prendre conscience du sens caché de leur demande ? Mais est-il vraiment utile de consacrer autant de temps à un problème souvent mineur alors qu’il est facile et rarement conséquent de leur faire ce petit plaisir?
Comme toujours en éthique, il n’est pas possible de poser le problème de façon binaire, dichotomique. Rien n’est fixé. Chaque situation appelle une solution originale et créative. Prenons encore le cas des fameuses vitamines. Certaines d’entre elles ne sont actives que s’il y a un réel déficit vitaminique. Cela n’empêche pas que tous les ans, avant le baccalauréat, des milliers de candidats, encouragés par de grandes campagnes médiatiques, quelques professeurs anxieux ou des parents terriblement inquiets, se fassent prescrire et consomment des produits « défatigants et vitaminés miracles ». Et, bien entendu, ça marche, puisque assez souvent, les potaches qui les avalent consciencieusement représentent la fraction la plus motivée de leur promotion. Que dire aussi des « médicaments vasculaires pour la mémoire », prescrits à la grand-mère qui perd un peu la tête et qu’il faut bien rassurer, elle qui a si peur de finir à l’hospice? Le simple fait de devoir compter les gouttes, à heures fixes, ne constitue-t-il pas déjà un entraînement efficace de la mémoire et un repérage dans le temps? Bref, faut-il faire tout un drame de ces pratiques? Faut-il, au nom d’une sourcilleuse morale hippocra- tique, rayer totalement du Vidal, ces médicaments dits « de confort » ? Les comptes de la Sécurité sociale ont- ils été rééquilibrés ou même seulement améliorés depuis que ces faux vrais médicaments sont déremboursés? Et combien ces produits, en général peu coûteux, mais efficaces, même s’ils ne sont que des leurres, ont-ils économisé à la société de journées d’arrêts de travail, de séjours hospitaliers, de psychothérapies et de cures en tous genres?
Vidéo : Une irrésistible envie de lunettes
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Une irrésistible envie de lunettes
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