Placebo : Docteur , je ne dors plus
Chacun connaît l’histoire du sujet insomniaque qui s’endort, passe une excellente nuit et s’aperçoit le lendemain qu’il a oublié son comprimé sur la table de nuit. Dans une étude que nous avons réalisée en 1989, l’efficacité sur l’insomnie d’une tisane placebo était comparée, en double aveugle, à celle d’une tisane contenant des plantes réputées efficaces dans les (roubles du sommeil. On imagine aisément les difficultés qu’il y eut à synthétiser une tisane inactive ayant à peu près le même goût, la même odeur et la même couleur que la tisane de référence !
Tous les matins, les sujets devaient remplir un ques- l ionnaire de sommeil et toutes les deux semaines, les médecins investigateurs devaient donner leur avis. Dans les deux groupes, que les patients insomniaques soient sous tisane placebo ou sous tisane active, l’amélioration fut très nette et se confirma tout au long du mois de l’étude. Mais les scores recueillis par les médecins ne permirent pas de trouver une différence significative d’un point de vue statistique entre les deux groupes de traitement alors que les notes d’appréciation de leur nuit (de 0 à 10) portées par les patients donnèrent l’avantage à la tisane « active ».
La discordance entre les deux types d’appréciations (;uilo et hétéro-questionnaires) est selon toute probabilité essentiellement liée au caractère instable du symptôme insomnie. Le recueil quotidien et matinal des « notes de la nuit » portées par les malades permettait, en quelque sorte, d’avoir le film continu du sommeil tout au long du mois qu’a duré l’étude et de l’.ommer statistiquement l’effet des menus événements de la vie qui interfèrent sur la qualité des nuits de certains sujets sensibles. À l’opposé, l’appréciation clinique bihebdomadaire effectuée par les médecins s’est trouvée fortement influencée par la procédure de recueil elle-même.
Il est facile d’imaginer que lorsqu’il voulait, plus ou moins inconsciemment, faire plaisir au bon docteur qui se donnait tant de peine pour le soigner, le malade dormait particulièrement bien la veille de la consultation, juste pour apporter en manière de cadeau un bon score de sommeil. À l’inverse, si la relation était tendue ou le malade réticent, pas convaincu ou pas vraiment d’accord avec le principe de la recherche ou avec le fait de prendre éventuellement un placebo, la punition du médecin était représentée par une insomnie majeure, juste la veille de la consultation. Si le nombre de sujets hostiles était à peu près équivalent à celui de patients coopératifs, il est évident que la différence ne pouvait être que nulle. Dans cette pathologie particulièrement labile, le biais représenté par la procédure de recueil d’information par le médecin pouvait créer un bruit de fond trop important et se révéler plus fort que le phénomène lui-même. L’autoévaluation quotidienne fut finalement considérée comme la plus fiable des deux procédures. Bien que cette étude n’ait pas été confirmée, la tisane active apparaîtrait donc objectivement plus efficace que la tisane placebo.