L'imagerie médicale: Les indicateurs
Les indicateurs:
Le concept qui est à la base de la médecine nucléaire, et qui est en train de gagner aussi le champ de la radiologie et de l’imagerie ultrasonore, est ce qu’on appelle depuis Hevesy la « méthode des indicateurs ». En 1912, Hevesy propose l’utilisation d’éléments radioactifs comme traceurs. Il l’applique d’abord en chimie puis, en 1923, il propose le plomb 212 comme traceur pour mesurer l’absorption et le transfert du plomb dans les plantes ; en 1934 il utilise l’eau lourde, D20 (un isotope non radioactif), pour mesurer l’élimination d’eau dans le corps humain ; surtout, il publie dans Nature en 1935 un article, « The formation of the bones is a dynamic process, involving continuous loss and replacement », qui révolutionne la physiologie et généralise l’utilisation des traceurs, notamment le phosphore-32. En 1922, Lacassagne fait la première autoradiographie, mais il s’agit simplement d’images de coupes d’organes de rat. Ce qui est remarquable, c’est que Frédéric Joliot écrit dès 1935 : on doit « prévoir l’emploi de ces éléments radioactifs en tant qu’indicateurs pour étudier le comportement de leurs isotopes inactifs dans certaines réactions chimiques ou dans les phénomènes biologiques », et en 1937 : « La méthode des indicateurs, employant des radioéléments synthétiques, permettra d’étudier plus facilement le problème de la localisation et de l’élimination d’éléments divers introduits dans les organismes vivants. Dans ce cas, la radioactivité sert uniquement à déterminer la présence d’un élément dans telle ou telle région de l’organisme. Il n’est pas utile dans ces conditions d’introduire des quantités importantes de l’indicateur radioactif… Aux endroits que l’on apprend ainsi à mieux connaître, où les radioéléments seront localisés, les rayonnements émis produiront leur action sur les cellules voisines. Pour ce deuxième mode d’emploi, il sera nécessaire d’utiliser des quantités importantes de radioéléments. Ceci trouvera probablement une application pratique en médecine dans le traitement de certaines maladies. Pour mener à bien ces travaux, il sera nécessaire de disposer de quantités relativement importantes de ces radioéléments. » Les idées qu’expose là F. Joliot sont d’une part le principe de l’imagerie fonctionnelle isotopique et d’autre part la base de la thérapie par des agents ciblés, notamment par des molécules marquées par des émetteurs radioactifs bêta ou alpha, en plein essor actuellement.
L’ordinateur entre en scène :
Le progrès majeur est apporté par la tomographie numérisée, c’est-à-dire par le mariage de l’ordinateur et de l’imageur. On peut citer les principales dates : 1961, Oldendorf: « Isolated flying spot detection of radiodensity discontinuities displaying the internal structural pattern of a complex object » ; 1963, Kuhl : « Image separation radioisotope scanning » ; 1964, Cormack (prix Nobel 1979) : « Representation of a function by its line integrals, with some radiological applications » ; 1973, Hounsfield (prix Nobel 1979) : « Computerized transverse axial scanning tomography: Description of system » ; c’est la découverte de la tomoden- sitométrie ou scanner X. Enfin, en 1975, Phelps, Ter-Pogossian et Kuhl publient un article dont le titre est : « Application of annihilation coincidence detection to transaxial reconstruction tomography », qui marque la naissance de la tomographie par émission de positrons (TEP). Il faut cependant remarquer que la première image d’une coupe transverse de cerveau (on devine en fait plus qu’on ne voit réellement le cerveau et les ventricules dans la boîte crânienne) obtenue par Hounsfield avec le scanner d’EMI a nécessité plus d’une dizaine d’heures de calculs d’ordinateur, alors que la reconstruction est pratiquement instantanée aujourd’hui. Même s’il y a eu beaucoup d’améliorations techniques, en particulier dans l’augmentation de la sensibilité des détecteurs (ce qui a aussi permis de diminuer les doses d’irradiation), les progrès essentiels sont ceux de l’informatique. L’accroissement exponentiel de la puissance des ordinateurs permet de produire des coupes tomographiques avec toutes les méthodes : les images radiologiques deviennent des images tomographiques (scanner X) et la scintigraphie devient la gammatomographie ou SPECT (single photon emission computed tomography). Cette révolution est doable : le radiologue pourra désormais reconstituer l’anatomie à trois dimensions à partir de ces coupes, les radiographies n’étant que des projections. Mais la numérisation de l’image permet aussi de mieux exploiter la dynamique des signaux reçus : alors que la radiographie ne « voyait » que les « ombres » portées de quatre composantes dans le corps (air/eau/graisse/os), le scanner X révèle les variations plus subtiles de densité au sein même des « tissus mous » à l’intérieur du corps.
La tomographie par émission de positrons (TEP) est une technique utilisant des radio-isotopes artificiels. Fixés sur une molécule (analogue du glucose ou d’acide aminé, neurotransmetteur, hormone, molécule thérapeutique, etc.), elle permet la visualisation in vivo du fonctionnement d’organes comme le cœur et le cerveau ou encore de suivre de façon atraumatique dans un organe spécifique chez un malade la localisation et l’évolution d’un médicament au cours du temps, son site de liaison, son métabolisme, son élimination.Cette technique d’imagerie fonctionnelle est donc destinée à obtenir des images biochimiques ou physiologiques ; elle requiert pour cela trois outils. Elle nécessite tout d’abord une molécule marquée, c’est-à-dire une molécule dont l’un des atomes a été remplacé par un atome chimiquement identique mais émettant des particules de matière appelées « positrons », de même masse que l’électron mais chargées positivement. Cet atome-isotope émetteur bêta plus – est produit par un cyclotron, accélérateur de particules permettant d’obtenir des transmutations et des désintégrations d’atomes localisé près de l’imageur car la demi-vie des isotopes utilisés est brève (2 minutes pour 150, 2 heures pour 18F). L’isotope intéressant est séparé et introduit par voie chimique dans la molécule dont on veut suivre le devenir. Deuxième outil, une caméra à positrons, capable de détecter les photons issus de l’émission de positrons par les molécules marquées. Le positron émis par le radioélément perd progressivement son énergie cinétique avant de rencontrer un électron libre, après un trajet de l’ordre d’un millimètre dans le tissu biologique. Il se produit alors une annihilation matière-antimatière qui donne naissance à deux photons, émis simultanément dans des directions exactement opposées (conservation de la quantité de mouvement). Ces photons, qui s’éloignent l’un de l’autre sur la même ligne, interagissent avec la couronne de détecteurs de la caméra (en général des cristaux de germanate de bismuth ou d’orthosilicate de lutetium), située autour du patient. Analysés, transformés mathématiquement et traités par ordinateur, ces « événements » permettent de reconstruire sur écran l’image de la position du radio-isotope au sein d’une « tranche » de quelques millimètres d’épaisseur de l’organe examiné. Par combinaison de tranches successives, on peut reconstruire des images tridimensionnelles. La résolution spatiale des images est actuellement de quatre millimètres dans les trois dimensions de l’espace. C’est finalement un modèle mathématique (le troisième outil), qui permet de transformer les valeurs locales de radioactivité en paramètres tels que débit sanguin, vitesse de réaction chimique, flux métabolique, densité de récepteurs d’un neurotransmetteur, concentration d’une enzyme…
Les marqueurs les plus utilisés pour la TEP sont de trois types : les marqueurs du débit sanguin, comme l’eau marquée avec de l’oxygène 15 ; les marqueurs du métabolisme énergétique avec essentiellement un analogue du glucose marqué par du fluor 18 (le déoxyglucose marqué par du fluor 18, appelé encore 18F-FDG) ; enfin des molécules marquées plus complexes, comme des médicaments marqués dont on peut, grâce à la TEP, observer le parcours et le métabolisme dans le corps. La TEP permet donc d’obtenir des images « métaboliques », « biochimiques » ou « pharmacologiques » d’un organe in vivo, et les applications physiologiques ou cliniques sont maintenant très nombreuses.
On peut citer l’exemple de l’étude du fonctionnement du cerveau. L’augmentation de l’activité des neurones dans une région cérébrale se traduit par un accroissement local du débit sanguin et du métabolisme. Ainsi, l’observation, après injection au patient de l’eau marquée à l’oxygène 15 ou du 18F-FDG, des variations de débit sanguin ou de consommation de glucose, permet de mettre en évidence les régions du cerveau spécifiquement impliquées lors d’une activation motrice, sensitive, sensorielle, ou encore d’une activité cognitive. Cette technique d’imagerie permet alors de dresser une cartographie fonctionnelle des structures cérébrales activées lors de la tâche demandée. La possibilité d’obtenir une cartographie de l’activité cérébrale a ouvert des perspectives totalement nouvelles en psychiatrie, en psychologie, en linguistique et de façon plus générale dans le domaine des sciences cognitives (calcul, langage, mémoire, etc.).
Dans le domaine des pathologies du système nerveux central, les traceurs radioactifs qui permettent de visualiser des molécules (neurotransmetteurs) ou des protéines spécifiques (récepteurs, transporteurs, enzymes) impliquées dans la neurotransmission sont utilisés pour mettre en évidence des anomalies associées et pour proposer de nouvelles méthodes d’investigation en neurologie comme en psychiatrie, aussi bien chez l’adulte que chez l’enfant. Ainsi, grâce au marquage par le fluor 18 de la L-DOPA, un précurseur naturel de la dopamine, la TEP permet de visualiser et de quantifier le métabolisme de la dopamine, un neurotransmetteur qui joue un rôle important dans le comportement moteur et psychologique. Cette technique est particulièrement utile pour l’étude de la maladie de Parkinson, caractérisée par la perte de neurones dopa-minergiques. On pourrait citer bien d’autres applications dans la maladie d’Alzheimer, les épilepsies, certaines maladies mentales comme la schizophrénie, la dépression, l’autisme.
En matière de détection et de suivi des cancers, les chercheurs ont démontré que le fluoro-déoxyglucose, un analogue du glucose marqué au fluor 18, est un traceur de choix pour identifier les lésions tumorales malignes, en particulier métastatiques, et pour suivre l’efficacité des traitements. La brièveté de la présence du 18F-FDG dans le corps humain et la courte période d’activité du fluor 18 (deux heures) rendent l’injection de ce radiopharmaceutique sans danger pour le patient. Mais cette faible durée de vie induit des contraintes très fortes sur sa production et sa distribution, le 1SF-FDG devant être administré au malade dans les deux heures qui suivent sa production.
Comme la TEP, la tomographie par émission monophotonique (ou TEMP) utilise des traceurs radioactifs. Mais cette fois, les traceurs utilisables par cette technique ne sont pas des émetteurs de positrons, mais des émetteurs de photons gamma, détectés par des gamma-caméras. Les traceurs les plus utilisés sont les isotopes du technétium, de l’iode, du thallium ou de l’indium, qui ne sont pas des constituants naturels des molécules des tissus vivants, comme peuvent l’être l’oxygène ou le carbone. Ces atomes sont donc fixés sur une molécule organique proche de la molécule naturelle dont on souhaite suivre la répartition dans le corps, et ensuite administrés à l’organisme.
L’émission gamma est détectée par une gamma-caméra, composée d’un collimateur en plomb ou en tungstène et d’un grand cristal scintillateur, en général de l’iodure de sodium surmonté de tubes photomultiplicateurs. Les gamma-caméras étant beaucoup plus simples techniquement et moins coûteuses que les caméras utilisées pour la TEP, les tomographes à émission monophotonique (TEMP) sont très répandus en milieu hospitalier, où ils sont utilisés pour des examens de routine en médecine nucléaire : scintigraphies osseuses, thyroïdiennes, pulmonaires, détection de la viabilité cardiaque ou de foyers infectieux, etc.