Les polysaccharides d'algues : Les agars
Les agars sont des substances extraites de certaines algues rouges, ou rhodobiontes. Ils sont utilisés depuis plus de deux cents ans et ne présentent aucune toxicité.
Origine botanique et répartition géographique
Les algues productrices d’agars, ou agarophytes, appartiennent principalement à l’ordre des gélidiales (genres Celidium, le plus utilisé, Ptemcladia et Pterocladiella) et à celui des gigartinales (genres Gracilaria, Acanthopeltis et Ahnfeltia). On les trouve sur les côtes des océans Atlantique et Pacifique: Gelidium sesquipedale et G. latifolium localisés sur les côtes françaises, ibériques et marocaines; G. amansii sur les côtes japonaises; G. pacificum et G.robustum sur les côtes américaines du Pacifique; Gracilaria verrucosa et G.gracilis localisées essentiellement dans la zone intertropicale en Asie (Japon, Chine, Corée, Thaïlande, Taïwan, Indonésie), aux Caraïbes et au Chili. Quelques autres espèces de moindre importance comme Ceramium (ordre des céramiales) et Porphyra (ordre des bangiales) peuvent aussi être utilisées.
Les Gelidium sont les plus recherchés car ils produisent les agars de meilleure qualité. Ce sont des algues difficiles à mettre en culture; de nombreux essais se sont révélés infructueux. La récolte se fait à partir de peuplements naturels qui peuvent être abondants ou très localisés selon les espèces. Les Gracilaria donnent des agars de moins bonne qualité, mais des procédés d’extraction particuliers permettent de les améliorer. Ces algues présentent l’avantage de pouvoir être cultivées facilement par bouturage, les méthodes de culture étant variables selon les pays (Taïwan, Chine, Thaïlande et Chili principalement).
Les Gelidium sont constitués de thalles d’un rouge foncé, constitués de filaments rampants et de frondes cartilagineuses, de 10 à 30 cm, ramifiées en rameaux minces et aplatis.
Les Gracilaria ont un thalle très ramifié et variable selon les espèces, de couleur rouge bordeaux. Ils vivent le plus souvent en eaux saumâtres et sont capables de subsister même dans l’obscurité.
Localisation cellulaire et composition chimique
Les agars sont des constituants des parois cellulaires, localisés dans la matrice amorphe. On les trouve dans tous les tissus, à la fois dans les cellules corticales et dans les cellules médullaires des thalles. Les agars sont des galactanes, c’est-à-dire des polymères de galactose. Celui-ci se présente sous deux formes : le ß-D-galactose, associé ou non à des ions sulfate, et le a-L-galactose existant le plus souvent sous la forme d’anhydrogalactose, portant un pont oxygène hydrophobe entre le 3e et le 6e carbone.
Les monomères sont liés entre eux par des liaisons osidiques ß (1-4) et a (1-3) selon un motif de base [… 3 D-galactose ß (1-4) L-galactose a 1…] reproduit n fois. Ils constituent de longues chaînes de galactane non ramifiées, de masse moléculaire > 1000 kDa, dont la configuration spatiale est une hélice. L’introduction de D-galactose sulfaté entraîne des irrégularités dans l’hélice. La proportion d’anhydrogalactose et de galactose sulfaté est variable selon les types d’agars, mais la teneur globale en anhydrogalactose est élevée et celle en galactose sulfaté est toujours inférieure à 5%.
On distingue trois types d’agars :
- le type agarose contenant une grande quantité d’anhydrogalactose et très peu de galactose sulfaté (s 2%) ;
- le type agarose chargé contenant moins d’anhydrogalactose et plus de galactose sulfaté ;
- le type galactane possédant un plus grand nombre de radicaux sulfatés (toujours < 5 %) et relativement peu de forme anhydrogalactose.
La proportion relative de ces trois types moléculaires est variable: l’agarose représente 72% des agars des Gelidium et seulement 16% des agars des Cracilaria; les agaroses chargés et les galactanes représentent respectivement 20% et 8% des agars de Gelidium contre 42-72% et 16- 42 % des agars des Gracilaria.
Les propriétés des agars
Les agars sont insolubles dans l’eau froide et soluble dans l’eau chaude à partir de 85 °C. Ils forment alors une solution visqueuse qui donne spontanément un gel en refroidissant. Le gel obtenu est translucide, sans goût ni odeur. Il est thermoréversible, c’est-à-dire qu’il se transforme à nouveau en solution visqueuse par chauffage et redonne le même gel en refroidissant; et cela un nombre de fois illimité. Dans ce gel, les zones de jonction sont des doubles hélices regroupées, de 7 à 11 selon les agars.
L’aptitude des agars à former un gel repose sur l’existence du pont oxygène hydrophobe de l’anhydrogalactose. Les molécules de la solution visqueuse sont réparties de façon aléatoire à cause de l’agitation moléculaire élevée (température > 85 °C). Pendant le refroidissement, les molécules en hélice se placent parallèlement face à face, de sorte que leurs radicaux hydrophobes se rapprochent et chassent l’eau (phénomène de synérèse). Lorsque les chaînes sont suffisamment proches, des liaisons hydrogène se créent entre les radicaux et forment des zones de jonctions intermoléculaires. Les groupements sulfate qui sont chargés négativement sont trop peu nombreux pour s’opposer à ce mouvement de rapprochement moléculaire. Suivant la proportion relative des radicaux hydrophobes et des groupements anioniques sulfate, le rapprochement des chaînes est plus ou moins important et les gels plus ou moins solides. Ainsi, pour l’agarose, dont la proportion en anhydrogalactose est élevée, les gels sont rigides et de grande qualité (cas des agars extraits de Gelidium). Pour l’agarose chargé, les gels sont souples et de qualité moyenne et pour les galactanes, pauvres en anhydrogalactose et relativement riches en galactose sulfaté, les gels sont de qualité médiocre (cas des agars de Gracilaria et Porphyra).
Lorsque les galactanes sont en majorité, on procède à une extraction alcaline (voir la page ci-contre) qui permet d’augmenter la proportion de radicaux hydrophobes et ainsi d’améliorer la qualité du gel. La qualité des agars dépend d’un certain nombre de facteurs : le degré de polymérisation (DP) propre à l’espèce utilisée, le moment et le lieu de la récolte, le mode de conservation. On peut estimer la force d’un gel grâce à certains appareils qui mesurent la force de rupture. On classe ainsi les gels selon leur qualité :
- extra, de force 1 ooo à 1 200 g.crrr2 (Gelidium sesquipedale et Gelidium amansii) ;
- haute, de force 600 à 900 g.cm-2 (Gelidium latifolium et d’autres gélidiales comme Gelidiella) ;
- moyenne, de force 400 à 600 g.crrr2 (Gracilaria gracilis et Gmcilaria verrucosa) ;
- médiocre, de force inférieure à 350 g.cm-2 (Gmcilaria verrucosa et Porphyra).
Des procédés d’extraction
Il existe deux modes d’extraction, classique ou alcaline, selon les types d’agars.
L’extraction classique. Utilisée surtout pour les gélidiales, elle comprend trois grandes étapes. La première regroupe plusieurs rinçages des thalles, successivement dans l’eau douce, dans un milieu acide, puis un milieu faiblement alcalinisé et chauffé à 60 °C permettant l’élimination de nombreuses substances dont les pigments rouges. La deuxième étape permet le découpage des molécules, très longues et insolubles, en tronçons plus petits, solubles dans l’eau chaude. Elle se fait par macération et brassage sous pression, pendant plusieurs heures, dans l’eau à température >120 °C. Cette étape essentielle doit être parfaitement contrôlée, grâce à des tests préliminaires, afin de permettre un découpage correct des molécules tout en préservant leur propriété gélifiante. La troisième étape débute par une filtration permettant de séparer les agars de la phase liquide. Elle est réalisée par pressage au travers d’une toile. On récolte ainsi une phase liquide qui ne contient que 1 % d’agar. La filtration est alors complétée par diverses opérations visant à concentrer progressivement l’agar par élimination de l’eau. Celle-ci s’effectue par simple pressage ou par une succession d’étapes de congélation/décongélation. Le gel est ensuite broyé finement puis asséché pour former une poudre.
L’extraction alcaline est utilisée pour les agars de qualité médiocre. Les thalles sont placés dans une solution de soude (NaOH) à 7%, chauffée à 90°C pendant 3 heures. Ce traitement permet d’éliminer une partie des groupements sulfate du galactose et de les remplacer par des ponts oxygène hydrophobes, ce qui améliore le pouvoir gélifiant. Les étapes suivantes sont communes à celles de l’extraction classique.
Production et utilisations industrielles
La production mondiale d’agars se situe autour de 10000 tonnes par an, provenant de 300000 tonnes d’algues récoltées (poids frais). Les principaux pays producteurs sont les pays asiatiques (Japon et Corée, en tête), le Chili, l’Union européenne (Espagne et France) et les États-Unis.
Les gels formés par les agars sont incolores, inodores, sans saveur et thermoréversibles. Ils peuvent donc supporter des cycles de réchauffement/refroidissement sans être altérés. De plus, ils supportent très bien les traitements thermiques de stérilisation et sont stables dans une gamme de pH comprise entre 5 et 8.Toutes ces propriétés font qu’ils sont utilisés dans de nombreux secteurs industriels et tout particulièrement dans le domaine agroalimentaire (88% des utilisations).
Dans l’industrie agroalimentaire. Ils sont utilisés en tant qu’agents texturants des aliments, gélifiants ou stabilisants (additif E406). Ils sont très souvent associés à d’autres produits texturants, tels que le sucre, l’amidon, le guar, la caroube, la xanthane, les carraghénanes, les alginates. Le dosage de ces divers texturants permet d’obtenir une viscosité et une texture particulières, propres à chaque produit. On trouve les agars dans les produis de boulangerie et pâtisserie (pour le nappage des gâteaux, par exemple, où ils évitent les craquelures), dans les confiseries (rôle antidéshydratant), dans les confitures (leur pouvoir gélifiant, supérieur à celui des pectines, permet de limiter la quantité de sucre), dans les yaourts et desserts lactés allégés (remplaçant la caséine), dans les viandes en gelée, les sauces stérilisées ou en sachets, pour la protection des plats en association avec la gélatine, dans les salades de fruits (cubes de fruits reconstitués).
En médecine, agriculture et recherche. En pharmacie, les agars sont utilisés comme excipients de nombreuses préparations, comme gélifiants pour les pommades et les suppositoires et comme stabilisants de certaines préparations liquides. En bactériologie, les agars sont très utilisés pour la préparation des milieux de culture. En agriculture, ils permettent, comme les alginates, la protection des semences et des embryons. En laboratoire, l’agarose purifié intervient sous forme de gels spécifiques dans les techniques d’électrophorèse, d’immunologie et de biochimie. Les agars sont aussi utilisés pour la fabrication de moulages et de sculptures en archéologie.
Vidéo : Les polysaccharides d’algues : Les agars
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