Les enfants qui ne veulent pas domir
L’une des tâches des chercheurs spécialisés dans le sommeil dont il arrive parfois qu’ils soient aussi parents — consiste à faire des conférences sur les troubles du sommeil dans les différents établissements scolaires fréquentés par leurs enfants. À la fin d’un de ces exposés que je faisais devant les parents d’élèves du jardin d’enfants que fréquentait ma fille, on me demanda : « Que peut-on faire des enfants qui refusent obstinément d’aller se coucher et dont le comportement à ce moment-là d’aller se coucher est purement et simplement odieux ? » La mère agitée qui m’adressait cette question me révéla que son fils avait six ans, et que le rituel pour le mettre au lit commençait à sept heures du soir. À partir de huit heures, elle disait : « Il faut qu’il soit couché. » Quand je lui demandai, les sourcils levés, pourquoi il fallait qu’il fût couché à huit heures, elle répondit : « S’il n’est pas couché, il nous dérange pendant que nous regardons la télévision. » Malgré mes arguments, cette mère eut du mal à comprendre pourquoi elle ne pouvait pas mettre son fils au lit à huit heures et attendre de lui qu’il s’endormît contre sa volonté. Quand je lui demandai si elle serait prête elle- même à aller se coucher à huit heures, sa réponse indignée fut : « Mais je suis une adulte, et il n’est qu’un enfant ! »
du sommeil à leur progéniture qui sont adaptées à leur propre style de vie, mais ne tiennent pas compte des besoins de l’enfant. Cela provient souvent ou bien d’un manque de connaissances, ou bien de croyances archaïques et de mythes concernant le sommeil. Ces parents sont persuadés que le sommeil dépend totalement de la volonté de l’enfant, et, dès lors, le fait que l’enfant ne s’endorme pas à sept ou huit heures du soir est considéré comme un manque de discipline ou comme du pur entêtement. Ces mêmes parents sont incapables d’imaginer que leur enfant n’arrive pas à s’endormir si tôt parce que son horloge biologique lui dicte de le faire seulement une heure ou deux plus tard. En vertu de la même règle, il y a des parents qui se plaignent de ce que leur enfant se réveille « trop tôt », surtout les week-ends, et trouble ainsi leur grasse matinée du dimanche; ils trouvent difficile à accepter l’explication selon laquelle leur enfant ne souffre pas d’un trouble du sommeil, mais réagit simplement au fait d’aller se coucher si tôt.
Des enfants qui se couchent à huit heures le soir se réveilleront à cinq ou six heures du matin parce qu’ils n’ont pas besoin de plus de neuf ou dix heures de sommeil. Par conséquent, une des manières les plus simples d’éviter les troubles du sommeil chez les enfants est de trouver pour chacun d’eux le moment optimal du coucher et du lever. Je suis navré d’être aussi rabat-joie, mais parfois les parents doivent sacrifier un peu de leur propre confort pour éviter des frictions avec leurs enfants à propos du sommeil.
Il faudrait encore ajouter ceci : les parents ne sont pas les seuls responsables de ces règles rigides de sommeil qui leur conviennent plus qu’à leurs enfants ; les puéricultrices et les pédiatres le sont tout autant. Il y a quelques années, la directrice d’un centre d’hébergement pour enfants s’adressa à nous pour une consultation : certains des enfants souffraient, pensait-elle, de troubles du sommeil. Puisque ces enfants avaient été séparés de leur famille pour différentes raisons, elle pensait que ces problèmes de sommeil avaient des causes avant tout émotionnelles. Quand nous effectuâmes des recherches sur leur sommeil, nous fûmes surpris de découvrir que la raison principale des difficultés que les enfants avaient à s’endormir était l’heure à laquelle on les couchait : huit heures du soir. Nous recommandâmes de différer l’heure du coucher d’une heure ou une heure et demie, et les problèmes de sommeil disparurent entièrement.
Comment, dès lors, traiter les troubles du sommeil de ce genre,
à un âge où il est encore trop tôt pour demander aux enfants d’aller au lit et de dormir? Comme nous l’avons vu au chapitre v, le rythme de sommeil des nourrissons est consolidé au cours de leur première année de vie. Une fois que cette consolidation s’est accomplie avec succès, le nouveau-né dort la nuit et reste éveillé le jour. Mais la vitesse de ce processus varie d’un nourrisson à l’autre ; les uns s’adaptent rapidement et, à la grande joie de leurs parents, dorment la nuit quand ils sont âgés seulement de quelques mois, tandis que les autres n’y parviennent même pas en l’espace de deux ans. Il est difficile d’imaginer l’importance de l’investissement émotionnel des parents dans le problème d’un bébé qui refuse de dormir. Je pourrais remplir un livre entier d’histoires de parents épuisés, qui ont essayé toutes les techniques possibles et imaginables pour faire dormir leur bébé la nuit : le bercer sans fin dans son berceau, l’emmener faire un tour en voiture dans les environs, et même le retirer de son berceau pour le prendre dans leurs bras et le bercer. Souvent, ces parents doivent recharger leurs « batteries de sommeil » presque à plat en passant une nuit ou deux à l’hôtel, loin des pleurs du bébé.
Quand on analyse de tels cas, on s’aperçoit presque toujours que la manière dont les parents se comportent avec leur bébé rebelle a contribué à déterminer la nature de son trouble du sommeil. Des parents qui ont du mal à faire face aux cris et aux larmes de leur nourrisson font tout ce qui est en leur pouvoir pour l’apaiser. Aussitôt qu’il se réveille et se dresse sur son petit lit, ils lui donnent un biberon ou, si cela ne suffit pas, ils le sortent du lit et le prennent dans leurs bras, ou même le mettent dans leur propre lit jusqu’à ce qu’il se rendorme. C’est ce qui permet au nourrisson d’apprendre que tout ce qu’il a à faire pour attirer l’attention de ses parents est de refuser de s’endormir, ou de se réveiller au milieu de la nuit et de hurler de toutes ses forces. Quelques parents prennent la décision courageuse de laisser crier leur bébé jusqu’à ce qu’il se calme, mais la majorité d’entre eux ne respecte pas cette résolution, rend facilement les armes et s’efforce de calmer l’enfant par tous les moyens possibles et imaginables.
Les deux seules manières de faire en sorte que l’horloge biologique qui contrôle le sommeil et la veille de l’enfant se conforme aux exigences des parents sont l’éducation et le conditionnement. De même que la sonnerie, qui, au départ, n’a aucune influence sur le sommeil des chats acquiert une signification spéciale une fois
combinée à un stimulus électrique sur le centre cérébral du sommeil , de même, chez les enfants, c’est toute la gamme des stimuli et des conduites parentales participant du rituel du sommeil qui, à la longue, devient un ordre de dormir. Pour favoriser ce processus, il faut de la constance et de la persévérance. Il convient de mettre l’enfant au lit à heure fixe l’heure faisant partie d’un rituel immuable qui signifie la fin du jour et le début de la nuit.
Un enfant qui s’endort dans des endroits différents d’une nuit à l’autre (parfois non loin de ses parents, parfois à leur côté tandis qu’ils regardent la télévision, parfois même dans leur lit) n’« apprendra » jamais le rapport qu’il y a entre son lit et le sommeil. Le rituel d’aller au lit est d’une importance capitale à un âge plus avancé aussi : les habitudes qui précèdent l’histoire qu’on lit lorsque l’enfant est couché, ou encore le fait, pour lui, d’aller se coucher avec des auxiliaires du sommeil (un morceau de drap, un bout d’une poupée cassée, ou un « doudou »), tout cela fait partie d’un rituel qui aide à délimiter la frontière entre la veille et le sommeil, le jour et la nuit.
Que peut-on faire, par conséquent, lorsqu’un enfant refuse d’aller se coucher ? La manière d’agir avec des enfants et des bébés qui ne veulent pas s’endormir est si simple que beaucoup de parents ne l’essaient même pas, persuadés qu’elle « ne marchera pas ».
Grâce à l’expérience acquise au laboratoire de sommeil sur les enfants, nous avons conclu qu’il existait deux méthodes aussi efficaces l’une que l’autre : la « visite à heure fixe » et le « partenaire de sommeil ». Ces deux méthodes ont été élaborées par une psychiatre anglaise spécialiste des enfants, appelée Naomi Richman.
La première méthode consiste à placer le nourrisson dans son berceau en accompagnant ce geste de quelques mots apaisants et d’un baiser ou deux ; puis, malgré les protestations, les parents doivent quitter la chambre. Dix minutes plus tard, l’un des deux parents rentre dans la chambre : si l’enfant n’est pas dans une position confortable, il faut le remettre sur le dos et le laisser. Ces gestes doivent être répétés toutes les dix minutes jusqu’à ce que le bébé finisse par s’endormir. Cette méthode peut servir également si l’enfant se réveille au milieu de la nuit. Avi Sadeh, qui acheva sa thèse de doctorat sur le sommeil des nourrissons dans mon laboratoire, a examiné l’efficacité de cette méthode grâce à des tests objectifs. Ses expériences ont démontré qu’une amélioration, souvent spectacu
laire, se produit dans le sommeil des bébés au bout de trois ou quatre nuits. Ils s’endorment alors pratiquement aussitôt qu’ils sont déposés dans leur berceau et commencent à se réveiller moins fréquemment au milieu de la nuit ; s’ils se réveillent, ils n’appellent pas leurs parents, mais se calment tout seuls.
La méthode du « partenaire de sommeil » consiste, pour l’un des parents, à s’allonger pour dormir dans un lit ou même sur un matelas posé à même le sol dans la chambre de l’enfant, pendant quelques nuits. Une nette amélioration du sommeil de l’enfant peut être constatée après trois ou quatre nuits, avec cette méthode également, et l’enfant accepte alors 1’« ordre » de dormir sans protester. Il faut souligner que ces deux méthodes exigent des parents qu’ils soient décidés et maintiennent ce traitement sans y déroger. La fermeté est récompensée : nos enregistrements montrent, en effet, qu’entre 80 et 90 % des parents qui ont reçu des conseils dans la clinique des nouveau-nés de notre laboratoire ont fait état d’une nette amélioration du sommeil de leur enfant au cours de la première semaine de traitement. Beaucoup d’entre eux avaient pris un air franchement sceptique quand on leur avait exposé pour la première fois ces méthodes !