Les acides gras trans
L’hydrogénation des huiles végétales les transforme en graisses n’appartenant pas au type de graisses préférées par la Nature. On ne sait pas encore si ce nouveau type de graisses est nocif ou non.
Dans le tableau des acides gras mono-insaturés situé en page 63, deux acides, l’acide oléique et un acide beaucoup plus rare, l’acide élaïdique, semblent les mêmes ; en effet, ils ont tous deux une chaîne de 18 atomes de carbone, une double liaison située entre les atomes 9 et 10, et ce sont tous les deux des acides oméga. Pourtant, ils sont diffé¬rents et cette différence provient de la nature de la double liaison elle- même : dans l’acide oléique, la liaison est ris, et dans l’acide élaïdique, la liaison est trans. Précisons par ailleurs que tous les acides gras poly- insaturés du tableau de la page 67 sont des acides gras ris.
Dans une double liaison ris, les deux atomes d’hydrogène de la double liaison CH=CH se font face et sont situés du même côté de la double liaison, plutôt comme les extrémités de la lettre C. Dans une double liaison trans, ils sont diagonalement opposés par rapport à la double liaison, plutôt comme les extrémités de la lettre S1. Certains pensent que les acides gras ris sont meilleurs pour notre santé que les acides gras trans bien que les preuves de leur nocivité réelle soient encore peu convaincantes. Aux Etats-Unis, l’apport journalier d’acides gras trans est d’environ 8 g, et en Grande-Bretagne, il est de 7 g dont2g sont d’origine animale, le reste provenant d’huiles de plantes modifiées.
Quel que soit l’endroit où se situe une double liaison ris le long de la chaîne d’un acide gras, il se forme une courbure en ce point et la chaîne forme alors un angle. Par ailleurs, si la chaîne comporte une double liaison trans, il y a comme une légère cassure de la chaîne et les deux parties les plus longues de la chaîne se déroulent dans la même direction. Il en résulte que les chaînes ris brisent l’arrangement molécu¬laire compact que peuvent avoir les acides gras saturés et les acides gras insaturés trans.
On peut utiliser les huiles pour la cuisine et pour les fritures, mais les graisses sont un peu plus polyvalentes car on peut les tartiner. De plus, elles sont plus commodes à emballer, à servir ou à utiliser à table. La transformation d’huiles en graisses se fait facilement en les faisant réagir avec de l’hydrogène gazeux à température élevée et haute pres¬sion, transformant ainsi les doubles liaisons en simples liaisons. Pour un fonctionnement efficace de ce procédé d’hydrogénation, la présence d’un catalyseur, le nickel, est nécessaire.
(On ne retrouve pas de nickel dans le produit final.) L’étendue de la réaction de saturation des acides gras dépend de la dureté souhaitée du produit final. Plus vous saturez la chaîne, plus le point de fusion du produit sera élevé et plus il a de chances de devenir une graisse dure. L’addition de deux hydrogènes à une double liaison se produit généralement dans une chaîne compor¬tant plusieurs doubles liaisons et sur la double liaison la plus proche du bout de la chaîne. L’étendue de l’hydrogénation est contrôlée afin d’empêcher la production de triglycérides totalement saturés.
Un autre phénomène auquel les premiers fabricants de margarine n’ont pas prêté attention, peut aussi se produire durant l’hydrogénation : la formation de doubles liaisons trans dans les chaî¬nes d’acides gras. La teneur totale en acides gras trans peut atteindre à peine 5 % ou moins dans les premières margarines, mais peut s’élever jusqu’à 40 % ou plus dans les graisses à frire commercialisées. Le résul¬tat est que, dans les pays occidentaux, la plupart des gens ont un apport journalier d’environ 5 g d’acides trans provenant pour la plus grande part d’huiles hydrogénées. Cependant, certains de ces acides trans proviennent d’animaux nourris au fourrage tels que les vaches et les moutons, et la bactérie qui intervient dans leur digestion a aussi la capacité de produire des acides gras trans qui passent dans leur chair puis dans notre alimentation. On signale également la présence de faibles quantités d’acides gras trans dans certains végétaux, parmi lesquels les petits pois et les choux.
Dans les années 1930, un groupe dirigé par le biochimiste canadien, R. G. Sinclair a cherché à savoir si le métabolisme des acides gras trans était le même que celui des acides gras cis, et en a conclu qu’en général c’était le cas. Mais, dans les années 1980, des travaux ont montré que les acides gras trans pouvaient affecter différemment certains comple¬xes enzymatiques, au moins chez les animaux cobayes et peut-être chez l’Homme. La recherche a aussi montré que chez l’Homme, les acides gras trans augmentent le taux de lipoprotéines à faible densité (LDL) dans lesquelles se trouve la plus grande partie du cholestérol dans le sang. Suite à cela, dans les années 1990, on considérait que les acides gras trans étaient responsables de cardiopathies ; certains les considé¬raient même comme beaucoup plus néfastes et ont fait un lien entre les acides gras trans et les diabètes, le cancer du sein et le cancer de la pros¬tate. D’autres allèrent même plus loin en disant qu’ils étaient potentiel¬lement dangereux pour le fœtus (car les bébés risquaient d’avoir un poids trop faible à la naissance) et pour les bébés allaités (car ils pertur¬baient leur système endocrinien).
Walter Willett, de l’Ecole de santé publique de Harvard (États- Unis), était le chercheur le plus connu dans le domaine des effets des acides gras trans sur la santé. Son travail porta les acides gras crans à l’attention du public et des médias. À leurs débuts, en 1994, Willett et ses collaborateurs trouvèrent une preuve épidémiologique qui permet¬tait de faire le lien entre les acides gras trans et les cardiopathies chez l’homme et chez la femme. Les avis de Willett furent largement diffu¬sés, en partie grâce à l’éditorial du New England Journal of Medecine, journal médical influent qui lui fut d’un grand soutien. Il y indiquait que la présence d’acide gras trans dans l’alimentation augmentait sans aucun doute les risques de maladies coronariennes. Le parcours univer¬sitaire de Willett et le soutien apporté par ce journal international à son travail, mené apparemment en toute indépendance, portèrent le problème à l’attention des médias. Les acides gras trans devinrent un tel problème que l’organisme américain de contrôle des aliments et des médicaments a même proposé de spécifier la teneur en acides gras trans de chaque aliment.
Tout le monde n’était pas d’accord avec les affirmations de Willett et ses conclusions incitèrent d’autres chercheurs à s’intéresser à ce même problème, lesquels arrivèrent à des conclusions différentes. Par exemple, une étude en Écosse où la population est encline à mourir jeune de cardiopathie n’a pas établi de lien avec les acides gras trans ; une autre étude similaire concernant neuf pays d’Europe et Israël a abouti à la même conclusion. (Un autre travail a montré que notre organisme pouvait digérer ces acides gras de la même manière que les acides gras cis.) Sur la base d’une telle preuve contradictoire, certains critiquèrent les conclusions de Willett en les qualifiant de « science pourrie » bien que cela semble un peu sévère. Willett était sans aucun doute bien intentionné mais un peu trop hâtif dans ses conclusions.
Il est très difficile d’analyser les acides gras trans qui entrent dans la composition d’ un aliment car cela nécessite la combinaison de la chromatographie en phase gazeuse. Théoriquement, l’une ou l’autre de ces méthodes devrait pouvoir donner la composition en acides gras trans, mais une étude britannique du Laboratory of the Government Chemist a montré que lorsque les méthodes sont utilisées séparément, elles conduisaient à des résultats dont la différence pouvait atteindre 20 %.
On teste généralement les effets des acides gras trans à l’aide de trois acides qui possèdent tous une chaîne de 18 atomes de carbone : l’acide stéarique qui est saturé, l’acide oléique qui possède une double liaison cis au milieu de la chaîne et l’acide élaïdique qui possède une double liaison trans au milieu de la chaîne. L’hydrogénation d’huiles végétales produit un ensemble d’acides gras trans dont la teneur en acide élaïdi¬que est la plus importante.
En 1990, Ronald Mensink et Martijn Katan de l’Agricultural Univer- sity de Wageningen, en Hollande, ont administré ces trois acides gras à trois groupes de personnes différentes qui ont accepté d’avoir, hormis ces trois acides, le même régime alimentaire. L’expérience a montré que les personnes qui avaient consommé l’acide gras trans avaient un taux de lipoprotéines de faible densité (LDL) plus élevé et un taux de lipoprotéi¬nes de forte densité (HDL), qui représentent le bon cholestérol, plus faible. Vu le nombre limité de personnes ayant participé à l’expérience, il convient d’interpréter ces résultats avec réserve.
En 1993, furent publiés les résultats d’une étude que des chercheurs de l’Université de Harvard menèrent durant huit années sur 90 000 infirmières. Dans cette étude, on se basait sur le régime alimentaire de chaque infirmière pour en déduire l’apport en acides gras trans. Les résultats ont mis en évidence un risque légèrement accru de cardiopathies parmi celles qui avaient l’apport le plus élevé en acides gras trans.
Durant les années 1990, d’autres publications sur les acides trans ont vu le jour dont la plus prestigieuse, peut-être, est celle publiée conjointement par l’American Institute of Nutrition (Institut Américain de la Nutrition) et l’American Society for Clinical Nutrition (Société Américaine de Nutrition Clinique).
Il y était dit qu’une consommation normale d’acide gras trans ne constituait aucun risque pour la santé. Cela était en accord avec l’observation suivante : l’apport journalier en acides gras trans de la population américaine ayant été maintenu à environ 8 g durant plus d’un demi-siècle, le pourcentage de décès par cardiopathies avait chuté de plus d’un tiers. En 1999, John Stanley de l’Université d’Oxford aboutissait à la même conclusion indiquant que les acides gras trans n’étaient pas la cause de cardiopathies. Il souligna les insuffisances de certaines études précédentes qui avaient trouvé ce lien tout en compatissant avec les chercheurs qui avaient dû affronter de nombreuses difficultés pour essayer d’estimer la consommation des acides gras trans.
La British Fondation Nutrition (Fondation Britannique pour la Nutrition) a également signalé que « les études sur les animaux ne montrent pas d’effets néfastes des acides gras trans sur la longévité, sur les performances de reproduction ou sur la croissance. De plus, elles n’ont pas montré de potentiel tératogène, ni cancérogène, ni mutagène, et n’ont pas mis en évidence d’anomalies particulières sur les organes examinés ». Pour ce qui était la raison initiale de notre inquié¬tude, les chercheurs n’ont trouvé aucune preuve réelle impliquant les acides gras trans dans le développement de cardiopathies. En ce qui concerne ce lien, peut-être les derniers résultats sont-ils raisonnables car les acides gras trans ne sont pas des produits chimiques contre nature formés durant la transformation des aliments ; on les trouve aussi dans la Nature, et l’Homme en consomme depuis qu’il élève des moutons et qu’il en mange la viande.
La graisse d’agneau contient 5 % d’acides gras trans, ce qui pourrait suggérer que, parmi les populations des régions du Moyen-Orient qui consomment beaucoup cette viande, il devrait exister plus de cas de cardiopathies que dans les régions où la consommation du bœuf ou du porc est plus courante.
Il n’y a aucune preuve à cela. Les autres graisses animales ont des teneurs en acide gras trans plus faibles : la graisse de bœuf en contient 2 % et celle de porc moins de 0,5 %. Le suif2 est une matière grasse solide qui se trouve autour des longes de bœuf et de mouton ; il contient 6 % d’acides gras trans alors que le produit de remplacement du suif obtenu à partir des huiles végétales en contient deux fois plus. Le beurre contient environ 3 % d’acides gras trans, les margarines molles et les margarines dures en contiennent le double tandis que la teneur en acides gras trans des huiles végétales qui permettent de produire ces deux types de margarines est très faible et même inférieure à 0,1 %.
La teneur en acides gras trans des pâtes à tartiner et des graisses utili¬sées en cuisine a été réduite de manière significative au fil des ans. En effet, les compagnies qui produisaient des huiles hydrogénées ont ducidé les mécanismes chimiques de la formation de ces acides gras et ont trouvé les procédés permettant de réduire leur teneur. A une époque, la teneur en acides gras trans de certains aliments traités comme les pâtisseries, les frites ou le poulet frit, constituait le tiers de leur teneur en graisses. Les fabricants de margarines molles ont cepen¬dant réduit la teneur en acides gras trans de ces produits à 10 %, au milieu des années 1990, à moins de 1 %, actuellement.