Le contenu de la révolution thérapeutique
L’histoire de la révolution thérapeutique est marquée par la combinaison de mise au point de molécules originales et de nouvelles techniques, en particulier chirurgicales. Sur quels critères retenir les innovations les plus importantes ? Il y aura dans ce choix toujours une part d’arbitraire et on pourra évidemment me corriger. J’ai essayé de choisir les innova- lions qui ont modifié la vie de millions de personnes, ou qui ont ouvert de nouvelles perspectives très fructueuses et ont eu un effet cumulatif. Ainsi, il paraît juste de retenir 1964 comme le début de la prise en charge de l’hypertension, mais pas les mises au point successives de classes chimiques différentes d’antihypertenseurs. Je ne pouvais pas retenir la mise au point des triptans qui ont certainement amélioré la vie de certains patients migraineux, mais qui n’ont rien bouleversé sur le fond : chaque patient continue comme avant de bricoler avec différents produits pour trouver un traitement qui lui convienne. De même, les antiagrégants plaquettaires sont peut-être des block- busters, mais ils ne constituent pas une innovation en rupture radicale avec la vieille aspirine. Les nouveaux antihypertenseurs n’ont également aucune raison d’être considérés comme radicalement différents, du point de vue clinique, des plus anciens, même s’ils peuvent être très utiles.
Remarquons encore que toutes ces innovations ont en commun d’avoir été faites alors que l’on était le plus souvent dans la totale ignorance des mécanismes biologiques à l’origine des différentes maladies : tous les médicaments mis sur le marché pendant cette période ont été découverts de manière fortuite.
Les années 1940
La première molécule qui nous fait entrer dans cette ère nouvelle est le prontosil, un sulfamide mis au point en 1935 par les chimistes de Bayer qui recherchaient des colorants pouvant avoir une activité antibactérienne et qui sera utilisé pour traiter… la syphilis. Les molécules synthétisées étaient systématiquement testées sur des souris infectées avec des streptocoques. Présenté comme le premier magic bullet, le prontosil marque l’acte de naissance du screening qui sera pratiqué à une échelle de plus en plus grande. Le screening ou tri décrit des opérations, systématiques et sans idée préconçue, de tests de toutes les molécules chimiques dont on dispose sur une cible biologique (animal entier ou organe ou récepteur). Cette méthode du screening connaîtra un succès considérable et nous en reparlerons à plusieurs reprises dans les prochains chapitres.
Les sulfamides donneront naissance à une quantité impressionnante de médicaments dans des pathologies aussi diverses que le diabète, l’obésité, l’hypertension, le glaucome, la malaria, la lèpre, etc.
En 1941, la pénicilline est utilisée pour la première fois sur un agent de police américain dont l’état de santé s’améliore de manière spectaculaire avant de rechuter dramatiquement : on savait mal produire de grandes quantités de pénicilline et on n’en disposait pas en quantité suffisante pour assurer ce premier traitement jusqu’au bout. La mobilisation de plusieurs laboratoires américains et en particulier de Merck changera les choses avant la fin de la guerre.
C’est par une autre voie qu’est découverte l’action de la streptomycine. Depuis 1928, le biologiste français René Dubos cherchait activement des extraits de sol pouvant avoir un effet thérapeutique. En 1939, il isole une molécule capable de détruire les bactéries sans être, comme les sulfamides, issue de la synthèse chimique mais produite par un micro-organisme. Son collègue britannique Selman Waksman les appellera « antibiotiques » et identifiera en 1943 la streptomycine. Pour la première fois, les méthodes statistiques modernes sont utilisées pour vérifier son efficacité dans la tuberculose, alors première cause de mortalité dans le monde, au cours d’un essai clinique contrôlé réalisé à Londres en 1947. Son usage seul donnera néanmoins des résultats décevants à moyen terme. Mais à partir de cette date, de nouveaux antibiotiques seront découverts tous les ans dans des extraits de sol.
C’est aussi en 1944 qu’a lieu la première dialyse rénale.
En 1949, ce sont encore les laboratoires Merck qui synthétisent en quantité suffisante la cortisone, premier médicament de la famille des stéroïdes, qui va provoquer un immense espoir dans une multitude d’indications (allergies, troubles immunitaires, infections graves, troubles inflammatoires aigus, transplantation d’organe, leucémie infantile, etc.) et bouleverser la quasi-totalité des spécialités médicales, avant que les effets secondaires n’obligent à en limiter la prescription.
Les années 1950
En 1950, le tabagisme est identifié comme une des causes du cancer du poumon ; c’est le début des grandes études épidémiologiques. On obtient cette même année les premières guérisons définitives de la tuberculose avec la streptomycine associée au l’AS (acide para-amino salicylique).
En 1952, l’assistance respiratoire est inventée pour secourir les patients à la suite d’une épidémie de poliomyélite à Copenhague. Cela deviendra une technique de soin essentielle dans la prise en charge hospitalière des cas graves.
La même année, Rhône-Poulenc met sur le marché le premier psychotrope qui est un neuroleptique (la chorpromazine) améliorant de manière spectaculaire l’état des patients schizophrènes. C’est le début de la psychopharmacologie, qui verra la mise sur le marché d’une cascade impressionnante de neuroleptiques, d’antidépresseurs et d’anxiolytiques. La psychiatrie sera massivement remédicalisée à partir de ces événements. C’est la seule grande découverte française en cinquante ans.
Les premiers stimulateurs cardiaques datent de 1953. En 1955, a lieu la première opération à cœur ouvert, mais aussi l’invention d’un vaccin américain puis d’un vaccin français contre la polio. En 1957, on met au point un traitement pour les hémophiles : le facteur VIII.
Les années 1960
En 1960, la pilule contraceptive est mise au point. En 1961, on découvre l’intérêt de la levodopa dans la maladie de Parkinson. La même année, la chirurgie bouleverse la vie de millions de personnes grâce à la maîtrise de la technique des prothèses de hanche. En 1963, on réalise les premières greffes de rein, rendues possibles grâce au premier médicament antirejet : l’azathioprine. C’est le début des transplantations d’organes, qui seront très largement améliorées à partir de 1977 grâce à la cyclosporine, issue de la recherche d’antibiotiques.
En 1963, on met pour la première fois en relation l’action des neuroleptiques avec une substance présente dans le cerveau : la dopamine. Cela annonce la possibilité de screener de nouvelles molécules grâce aux outils de la biologie cellulaire.
En 1964, on commence à traiter massivement l’hypertension comme facteur de risque des accidents cérébraux vasculaires. L’angor (l’angine de poitrine) pourra aussi être prise en charge par les nouveaux médicaments. Le premier antihypertenseur est la chlorothiazide, qui inaugure la famille des diurétiques issus de la recherche sur les sulfamides. Le chimiste anglais James Black mettra au point le premier bêta-bloquant, le propranolol.
En 1969, les sels de lithium sont commercialisés pour traiter les psychoses maniaco-dépressives.
Bilan : entre soixante-dix et cent nouveaux médicaments sont mis chaque année sur le marché pendant cette décennie.
Les années 1970
En 1971, on arrive enfin à traiter avec succès plus de 70 % des cas de leucémie infantile, grâce à une combinaison de médicaments qui fut longue à mettre au point (stéroïdes, vincristine, methotrexate, cyclophosphamide, etc.) et de radiothérapie.
1974 marque le début de l’utilisation des faibles doses d’héparine dans la prévention des thromboses. En 1978, la fécondation in vitro est mise au point. En 1979, on pratique l’angioplastie coronarienne.
Les années 1980
En 1984, on découvre l’origine infectieuse de l’ulcère d’estomac, ce qui ébranle toute la théorie psychosomatique. En 1989, Act Up est créée à Paris, constituant un nouveau modèle d’associations de patients qui participent à la négociation des protocoles des essais cliniques (dans ce cas, pour le traitement du sida).
Sur le modèle de l’hypertension, on dépiste la cholestérolémie. En 1996, la trithérapie permet de mieux soigner les patients atteints du sida.
Avec la fin de la révolution thérapeutique et l’entrée dans l’ère des rendements décroissants, les maladies infectieuses ont laissé (provisoirement ?) la place aux maladies du vieillissement comme principale cause de mortalité dans les pays riches. Les progrès de la législation ont rendu la recherche et le développement de plus en plus segmentaires et linéarités (j’y reviendrai en détail dans les prochains chapitres), brisant le mécanisme à l’origine des grandes découvertes. Mais la révolution thérapeutique a été aussi l’ère des accidents et des études menés sans aucun souci d’éthique. L’exubérance des chimistes et le début de la « science clinique » ont fait que l’on n’a hésité devant aucune expérience menée sur des patients non avertis.
Vidéo : Le contenu de la révolution thérapeutique
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