La mémoire est-elle élastique
Bien souvent, on a l’impression que de nombreux enseignants ou les concepteurs des programmes pensent que la mémoire est élastique. C’est un hommage rendu à la mémoire car elle est tellement puissante qu’elle peut donner cette impression. Certains chercheurs en biologie ont d’ailleurs pensé à une époque qu’elle avait une capacité illimitée. Pourquoi le croyaient- ils ? Vers les années soixante, la théorie dominante était qu’il n’y avait pas de spécialisations dans le cerveau et qu’un souvenir correspondait à une combinaison de connexions entre les neurones (cellules nerveuses). Or, comme il existe environ cent milliards de neurones dans le cerveau, les combinaisons possibles sont des milliards de milliards, c’est- à-dire un nombre quasiment infini. Malheureusement, cette idée ne se confirme pas et les recherches montrent de plus en plus que le cerveau est spécialisé pour produire des mécanismes distincts, appelés modules, un peu comme les composants d’un ordinateur, ou les pièces et les étages d’un gratte-ciel. De la sorte, le nombre de neurones par modules est beaucoup plus restreint (même si c’est de plusieurs milliers) et les combinaisons ne sont pas infinies. D’autre part, toutes les combinaisons n’existent pas et il y a probablement plus de connexions verticales entre les neurones, comme certains l’ont montré dans la vision. La conclusion est donc que la mémoire n’est pas élastique.
Cette nouvelle conception d’une mémoire « limitée » s’accorde très bien en revanche à bon nombre d’observations en psychologie, mais il faut distinguer deux grands types de mémoire : une mémoire à court terme et une mémoire à long terme.
La mémoire à long terme correspond à la mémoire au sens courant du terme, c’est celle qui permet aux élèves d’apprendre durablement les cours, c’est également celle qui nous permet de retenir les visages de nos proches, les mots du vocabulaire, les visages et les noms des acteurs, hommes politiques, journalistes, etc. Cette mémoire n’est pas élastique mais elle a une grande capacité en moyenne, plusieurs milliers de mots de vocabulaire, plusieurs milliers d’images et de visages, etc. Dans cette mémoire d’une capacité énorme (mais non illimitée), les souvenirs s’en vont assez lentement, l’oubli est graduel et pour peu que des visages aient été vus de nombreuses fois et des noms entendus, comme ceux des camarades de lycée, ces souvenirs resteront en mémoire pendant des dizaines d’années.
En revanche, les recherches récentes ont mis en évidence une autre mémoire dotée d’un fonctionnement bien différent. En effet, cette mémoire ne dure que quelques instants (de trois à trente secondes) et a été qualifiée pour cette raison de mémoire « à court terme ». Par ailleurs, la mémoire à court terme a une capacité très limitée de sept unités. Un grand chercheur de la mémoire a même qualifié, avec humour, ce chiffre 7 de magique, faisant ainsi le rapprochement avec les sept jours de la semaine, les sept Merveilles du monde, etc. Et l’on pourrait continuer sa liste avec les sept notes de musique, les sept nains de Blanche Neige.Et si James Bond ne s’était appelé que 003, peut- être n’aurait-il pas connu un tel succès !
Cette capacité, on le voit, est bigrement limitée, mais ce qui est paradoxal est que ces unités sont un peu élastiques. En effet, la mémoire à court terme est capable de mémori¬ser sept mots familiers lapin, horloge, cerise, mais elle est tout aussi capable de retenir sept phrases, du moment que celles-ci soient très familières, par exemple : « le jardi¬nier arrose les jolies fleurs » ; des chercheurs ont même montré la capacité de se rappeler sept proverbes, à condition que ceux-ci soient bien connus au préalable. Comment comprendre cette capacité, tour à tour limitée ou élastique ? Pour cela, il faut considérer la mémoire à court terme comme le fichier d’une bibliothèque ; le fichier comporte des fiches et sur chacune d’elles figurent les références d’un livre avec son numéro d’emplacement dans les rayonnages de la bibliothèque. Eh bien, les rayonnages sont la mémoire à long terme et les livres sont autant de mots et de souvenirs. Mais la fiche du livre ne comporte que le nom du livre et sa référence ; chaque fiche a la même épaisseur, que le livre comporte cent pages ou qu’il soit un gros dictionnaire de six mille pages. En revanche, imaginez avec cette analogie de la bibliothèque, qu’un livre soit mal relié et que ses feuillets soit éparpillés, la référence de la fiche ne vous conduirait qu’à une partie des informations. C’est ce qui se passe dans la mémoire : regardez cette séquence de © lettres : « M F G X W L T », il y a sept lettres qui occupent la totalité de votre mémoire à court terme, car les lettres sont comme des feuillets séparés. A l’inverse, si je vous pré¬sente le mot « R O S E D E S V E N T S », il est composé de douze lettres et pourtant, les lettres ne débordent pas de la mémoire à court terme ; elles sont soudées en un mot qui est déjà bien installé dans la mémoire à long terme comme un livre bien relié dans une bibliothèque, dont les pages ne se détachent pas tellement elles sont bien assemblées. Le mot tout entier n’est donc représenté que par un petit indice en mémoire à court terme et il reste six places pour mettre les six indices correspondant à d’autres mots connus quelle que soit leur longueur. Une phrase familière, un proverbe connu ne sont ainsi référencés que par un petit indice en mémoire à court terme.
La capacité de la mémoire à court terme dépend donc étroitement de la familiarité des souvenirs et voici pourquoi les enfants ont une capacité moindre pour les mots, c’est parce que leur vocabulaire est encore incertain, mal structuré. Par exemple, si des élèves de collège ont une capacité normale pour des mots ordinaires, la capacité tombe de moitié pour des mots techniques non familiers, extraits des manuels scolaires, comme Julianus, Xénophon, etc.
Vidéo : La mémoire est-elle élastique
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