La bureaucratisation de l'industrie pharmaceutique
Les essais cliniques ont tout uniformisé au sein de l’industrie pharmaceutique. Les services de recherche se sont transformés en centres d’alimentation des « tuyaux » des essais cliniques : il faut produire en masse des candidats à l’expérimentation humaine. Ce que nous avons appelé la « petite biologie » ou biologie « light », dont le seul objectif est de mettre au point des candidats médicaments, ne développe pas l’intelligence et l’autonomie des chercheurs ; elle les enchaîne dans des activités répétitives et sans gloire.
Quand on visite de nombreux centres de recherches pharmaceutiques, on est surpris du climat de tristesse qui y règne et qui n’a fait que progresser depuis une vingtaine d’années. Que les chercheurs qui ont un peu trop d’imagination et d’indépendance d’esprit aillent donc faire de la recherche dans le public, à l’université ou au CNRS ! Ils n’ont plus leur place dans les laboratoires de l’industrie, qui se sont complètement adaptés, aussi bien au niveau de la technologie, de l’organisation du travail, qu’à celui du profil psychologique des chercheurs recrutés, à la nécessité de seulement travailler à la production du flux de molécules destinées à alimenter la machine des essais cliniques. Comme l’écrit David Healy : « Tout cela se passe à une époque où la plupart des laboratoires font appel à des consultants pour les conseiller sur les moyens de standardiser leur travail. C’est une époque où le personnel médical et scientifique est remplacé au niveau décisionnaire par des gestionnaires. »
Pour gagner beaucoup plus d’argent, des chercheurs passent régulièrement du public au privé : ils perdent alors une partie de leur enthousiasme et de leurs idées jugées trop « folkloriques », trop éloignées des besoins immédiats de la recherche pharmaceutique, qui suppose répétition, reproduction, débit. Les chercheurs brillants capables d’échafauder d’audacieuses hypothèses se transforment souvent en salariés tristes et muets. Ceux qui croient que l’industrie pharmaceutique est un lieu où l’imagination des chercheurs peut se déployer, sans les limites budgétaires qui sont celles du public, se trompent lourdement : le temps où les chercheurs pouvaient mener, dans leur laboratoire, des recherches hors programme, et où ce type de travail était non seulement autorisé, mais même parfois encouragé, est bien terminé. Cette situation explique que les chercheurs les plus brillants tentent depuis le milieu des années 1980 de faire carrière hors des grands groupes pharmaceutiques, en particulier dans les petites sociétés de biotechnologie. Les responsables de l’industrie pharmaceutique avouent leur inquiétude devant cette difficulté de plus en plus grande à recruter de brillants sujets en recherche.
Les essais cliniques constituaient avant tout, pour leurs initiateurs américains, le meilleur moyen de contrôler l’industrie pharmaceutique. Mais on n’a sans doute pas assez mesuré le changement économique (au sens large du mot) qui s’opérait quand, de moyen de contrôle, ils se sont transformés en moteur de la recherche, en étant intégrés par l’industrie pharmaceutique et mis au cœur de sa démarche.
Vidéo : La bureaucratisation de l’industrie pharmaceutique
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