L'anesthésie par acupuncture
Il est logique, avant d’aborder le problème discuté des interventions faites sous acupuncture, de voir si l’on peut analgésier l’animal.
L’animal facilite !’objectivation des résultats, car l’élément suggestif ne joue pas : on ne peut le convaincre des bienfaits de l’acupuncture.
Il est préférable de parler d’analgésie par acupuncture plutôt que d’anesthésie : si l’anesthésie supprime la conscience du sujet, l’analgésie laisse le sujet conscient et se borne à diminuer, voire à supprimer, les sensations douloureuses.
1. Expériences faites sur le lapin : 58 lapins participent à cette expérience.
a. Nature du stimulus douloureux
Le stimulus douloureux choisi est la piqûre de la peau effectuée à l’aide d’une pique équipée d’un capteur à jauges permettant de connaître l’exacte valeur de la pression exercée sur la peau. Cette stimulation se situe en moyenne à 4 kg/mm2(piqué à cette force-là, le lapin retire généralement sa patte). Les réactions du lapin à la stimulation douloureuse sont,
du point de vue dynamique, le retrait des membres, soit unilatéral soit plus généralement bilatéral.
Un dispositif expérimental a été mis au point, permettant de mesurer ces réactions de retrait, soit en statique, soit en dynamique (mesure de la force et de la vitesse du déplacement).
b. Les points utilisés
Ce sont les points V. 49 et E. 36 qui ont été choisis pour placer les aiguilles d’acupuncture. Ces points sont situés au niveau de la patte postérieure.
Les aiguilles sont reliées à un stimulateur électrique.
c. Résultats
Après 20 à 30 minutes de stimulation, une analgésie apparaît, très nette pour la cuisse et le mollet et incomplète pour le talon.
Sur ces 58 lapins testés, 42 résultats positifs ont été obtenus, soit 72 .
A noter que si l’on dispose les aiguilles d’acupuncture au hasard et en tout cas à 1 cm des points utilisés, on n’obtient jamais d’analgésie.
d. Transfert sérique de l’analgésie
Après avoir démontré la possibilité de reproduire chez l’animal l’analgésie acupuncturale, les auteurs de l’article ont voulu aller plus loin. Le groupe de recherches de Pékin avait obtenu un transfert d’analgésie dès 1974, en perfusant le liquide céphalo- rachidien d’un lapin analgésié dans les ventricules cérébraux d’un lapin receveur.
Sur une suggestion du Dr Niboyet, les auteurs ont prélevé et centrifugé à 0° C la totalité du sang de certains des lapins analgésiés. Le sérum obtenu à partir du sang prélevé a été injecté dans une veine de l’oreille de lapins receveurs. On objective ainsi l’apparition d’une analgésie chez le lapin receveur.
Sur 17 lapins ainsi testés, 7 résultats positifs ont été obtenus.
Chez le chat
On anesthésie légèrement les chats pour faciliter l’expérience. Cette anesthésie ne supprime pas le fait que le chat retire sa patte quand on la lui pique. Le degré d’anesthésie recherché correspond à un sommeil léger.
Déroulement de l’expérience
pour obtenir l’analgésie, on place deux aiguilles d’acupuncture aux points E. 32 et ¥B. 34 (ces points sont situés au niveau de la patte postérieure).
Ces aiguilles sont reliées des électrodes par où passe un léger courant électrique. Ce courant est du même type que celui utilisé dans les analgésies opératoires chez l’homme et chez l’animal. Il induit une minicontracture un peu plus forte que celle obtenue par simple pose de l’aiguille. Il produit en fait le même effet local que si on faisait pivoter l’aiguille sur elle- même 2à3 fois par seconde.
Les points ont été choisis par référence ceux utilisés chez l’homme lorsqu’on veut opérer le pied. C’est d’ailleurs au niveau du pied que l’on va tester chez les chats la sensibilité à la piqûre.
Cette expérimentation va permettre d’observer les faits suivants :
1) La diminution de la sensibilité du chat la piqûre est nette après électro-acupuncture.
2) Tout comme chez l’homme, il faut attendre 20 minutes de stimulation avant d’obtenir une diminution de la sensibilité à la douleur.
3) Chez le chat, la décapitation abolit l’action de l’acupunc- ture : on a en effet mis hors circuit le cerveau qui produit les endorphines.
4) La naloxone est une substance chimique qui contrecarre les effets de l’acupuncture au cours de ce type d’expérience. La naloxone étant un antagoniste de la morphine, ce sont probablement les endorphines qui sont responsables de l’analgésie obtenue.
Conclusion
L’effet analgésiant est ainsi démontré chez l’animal.
C’est cet effet que l’on mettra à profit pour intervenir chirurgicalement chez l’homme.
Analgésie chez l’homme
Pour illustrer ce paragraphe, nous citons un article venant d’un laboratoire de recherche suédois’’.
L’expérience est faite sur 30 étudiants (volontaires) en bonne santé.
La douleur infligée consiste en courants électriques de durée égale à 10 millièmes de seconde, à une fréquence de 5 par seconde au niveau des dents.
Les aiguilles sont disposées
1) à GI. 4, point qui se trouve entre les 2 premiers métacarpiens (les auteurs chinois utilisent en effet le GI. 4 pour obtenir des analgésies de la bouche).
2) à un point situé sous l’orbite.
La stimulation de ces points se fait avec un appareil chinois couramment utilisé dans le cadre des interventions chirurgicales (modèle 626). La fréquence de stimulation est ici de 2/seconde.
Ceux traités avec des aiguilles.
Sur les 18 sujets de ce groupe, 14 supportent mieux les douleurs infligées. L’effet anti-douleur commence graduellement et atteint son maximum après 30 minutes de stimulation. La stimulation une fois terminée, l’effet anti-douleur diminue progressivement (le temps que les endorphines produites soient éliminées de l’organisme).
2) Ceux traités avec des électrodes de surface.
Ces électrodes ont une surface de 2 cm2. Elles sont placées également au niveau de GI. 4 et sous le rebord des orbites. L’effet anti-douleur observé est très similaire à celui obtenu par la mise en place d’aiguilles. En fait, l’effet est légèrement supérieur : aucun échec n’est constaté dans ce groupe de 12 étudiants.
Les auteurs de cet article concluent en signalant que les résultats qu’ils ont obtenus sont comparables à ceux rapportés dans un article chinois qui signalait 65 à 95 % d’effets anal- gésiants obtenus ٠.
Conclusion
L’effet analgésiant de l’acupuncture est ainsi démontré non seulement chez l’animal mais également chez l’homme.
11 est possible de mettre à profit cet effet analgésiant et d’opé- rer sous acupuncture seule. Mais les analgésies sont imparfaites (les douleurs ne sont pas totalement supprimées, même dans les cas considérés comme des réussites). Les Chinois eux-mêmes donnent des tranquillisants ou de la morphine avant les inter- ventions sous acupuncture. Ils tiennent fort compte du niveau d’anxiété du patient. Us n’hésitent pas à utiliser pendant l’intervention des anesthésiques locaux si nécessaire. Enfin, à
moins d’être au fin fond de la Chine, ils recourent à une anesthésie classique en cas d’échec de l’analgésie par acupuncture (plus de 20 % des cas dans l’ensemble). De plus, les chirurgiens chinois travaillent le plus rapidement possible (un peu comme les chirurgiens en Europe avant la découverte du chloroforme). Les traités consacrés à l’analgésie par acupuncture insistent beaucoup sur la qualité et la rapidité du geste opératoire.
L’avenir de l’acupuncture dans le domaine des interventions chirurgicales est probablement une combinaison de l’acupuncture avec l’anesthésie classique.
Il semble bien qu’ainsi on puisse réduire de façon nette les quantités d’anesthésiques administrés. Ceci réduit proportionnellement les effets secondaires de ces anesthésiques, ce qui n’est absolument pas négligeable. Il semble également qu’ainsi les douleurs ressenties par le patient après l’intervention soient moindres.
Pour équilibrer mes propos, réservés quant à l’utilisation de l’acupuncture seule dans le cadre des anesthésies, je me dois de raconter brièvement l’histoire suivante : une dame de 65 ans présente un cancer du colon bien localisé et donc opérable. Cependant son état cardio-pulmonaire est très mauvais. Les médecins estiment que le risque lié à l’anesthésie est bien trop important et qu’il vaut mieux laisser le cancer en place plutôt que voir la patiente décéder suite à l’intervention. La patiente est informée et décide de se faire opérer sous acupuncture. L’intervention a lieu sans problème.