États de dénutrition chez l'adulte
Comme il est rappelé plus haut, les réserves énergétiques sont i(‘présentées pour une très faible part par des réserves glucidiques (muscu- luire et hépatique) et pour la plus grande part par des réserves lipidiques ( lissu adipeux); leur fonte correspond à un amaigrissement.
l’ar contre, l’organisme ne dispose pas de réserves protidiques : toutes li s protéines du corps sont structurelles.
Pourtant les protéines sont capables (notamment par la néoglucogénèse hépatique) de donner naissance à des glucides ou des lipides.
Deux éventualités sont alors possibles :
1. Ou bien la ration protidique alimentaire est trop faible, en deçà des besoins de renouvellement cellulaire indispensables : les protéines tissu- Inires vont diminuer et au-delà de 10% de perte de la masse protidique, i est la dénutrition.
2. Ou bien la ration calorique globale est trop faible : outre la consommation des réserves pour assurer les dépenses énergétiques, source J amaigrissement, l’organisme est capable de puiser dans ses propres protides de constitution pour former des substances caloriques : là encore, i est la dénutrition.
II est rare que ces deux mécanismes jouent à l’état pur. Le plus souvent ils s’âssocient : on parle alors de dénutrition protéino-calorique ou calorico-azotée.
Appréciation de la dénutrition
I La réduction des apports caloriques entraîne un amaigrissement avec fonte du tissu adipeux. Les moyens de mesure sont : le poid» et la mesure du pli cutané. Cette mesure est réalisée à l’aide d’un compas dont la pression est indépendante de l’écartement. On peut mesurer ainsi suc- i essivement, à droite et à gauche, les plis suivants : tricipital, bicipital, supra-iliaque, pectoro-axillaire, médio-axillaire, et le pli du cou. En pratique courante, la mesure du pli cutané tricipital, à mi-distance entre l’acromion rl l’olécrâne peut suffire : son épaisseur est en moyenne de 16,5 mm chez la femme et de 12,5 mm chez l’homme. Des valeurs comprises entre – 10 n 40 % indiquent une déplétion énergétique modérée; inférieures h 40 %, une déplétion sévère.
I La rupture de l’équilibre entre les apports azotés et le renouvellement protidique, c’est-à-dire entre anabolisme et catabolisme protidique est source de dénutrition, c’est-à-dire de fonte de la masse maigre. Les organes les plus touchés sont ceux dont le renouvellement cellulaire est le plus rapide.
La dénutrition affecte donc en premier lieu le tube digestif, foie, pan créas, tissu lymphoïde et hématopoïétique. En deuxième lieu, tout l’appu reil musculaire.
Sont enfin touchés en tout dernier lieu les tissus à renouvellement lent ou nul : tissu conjonctif, système nerveux, cœur. Cette autophagie a pour corollaire une augmentation des pertes azotée, ! qu’elle soit liée à une seule carence d’apport ou, plus souvent, qu’elle soit aggravée par un facteur d’agression tels une infection intercurrente, un pu lytraumatisme (cf. p. 212).
- Catabolisme protéique par carence d’apport. — Une partie de lu masse protéique est utilisée à des fins énergétiques : c’est la gluconéoge nèse hépatique d’origine protéique. Ce catabolisme protéique obligatoiie peut être réduit partiellement par des apports en glucides; ce phénomène représente «l’épargne azotée» d’origine glucidique, démontrée en 194/ par Gamble. La mobilisation des réserves protéiques est réduite apriS 7 jours de jeûne (cf. p. 206). Le catabolisme protéique peut avoir di s conséquences plus ou moins graves suivant le type alimentaire antérieur Ainsi, un individu gros mangeur, dont les apports protéiques sont do 130 g/24 h (soit 21 g d’azote), va perdre dans les 24 premières heures du jeûne une quantité équivalente d’azote, ce qui représente environ 1/8 «le sa masse protéique. Ce phénomène est l’expression de l’inertie de l’adaptation du turnover protéique dans les premiers jours du jeûne. Ou peut ainsi aboutir en une dizaine de jours à la mobilisation de toutes Ion protéines disponibles, réalisant une dénutrition protéique grave alors que l’aspect du sujet demeure floride car ses réserves énergétiques sont peu entamées. A l’inverse, un individu dont les apports protéiques sont de 70 g/j (11 g d’azote) ne perd dans les 24 premières heures du jeûne que 1/16 de sa masse protéique.
En cas d’agression, le catabolisme protéique par carence d’apport e.sl aggravé par une déviation du métabolisme. L’hyperactivité sympathique (cf. p. 212) empêche les phénomènes adaptatifs du jeûne, aboutissanl A une fonte rapide de la masse maigre, associée à une mobilisation de» réserves énergétiques aboutissant à une déplétion calorico-protidique. I n déplétion calorico-protidique peut être d’autant plus grave qu’elle survient chez un sujet préalablement dénutri. Ce schéma est fréquent che/ le cancéreux dénutri, qui subit une intervention chirurgicale lourde.
- Paramètres permettant d’apprécier la dénutrition protéique :
L’interrogatoire alimentaire permet de détecter la carence d’appor! Le degré d’amaigrissement est estimé par le poids. Cependant, la peilc de poids peut manquer au début d’un grand catabolisme protéique, ou peut être masquée par des œdèmes secondaires à une hypoprotidémie.
- La mesure du périmètre musculaire (périmètre brachial — pli cutané tricipital x 3,14) apprécie les fontes musculaires importantes (valeur normale chez l’homme : 25,3 cm en moyenne, chez la femme : 23,2 cm en moyenne).
- La masse musculaire peut être estimée par la mesure de lu créationniste des 24 heures rapportée à la taille. La mesure de lu 3-méthyl histidine urinaire serait plus fidèle.
Parmi les protéines plasmatiques, les marqueurs de demi-vie courte ids que transferrine (8 jours), préalbumine (2 jours), rétinol binding protein (12 heures), sont plus fidèles pour détecter une dénutrition protéique que l’albumine (19 jours).
La masse cellulaire ne peut être appréciée que par des méthodes de ir.ilisation difficiles : mesure du potassium échangeable, mesure de l’eau intracellulaire. Le compte des lymphocytes et les tests cutanés d’hyper- .( lisibilité retardée apprécient le retentissement de la carence protéique
ni les défenses immunitaires, mais d’autres facteurs peuvent intervenir (luncer, chimiothérapie, éthylisme…). La mesure du catabolisme protéi- i|uc est appréciée par la mesure de l’excrétion azotée urinaire.
3. Tableau clinique des états de dénutritions chez l’adulte
Asthénie. — Elle est un signe constant et souvent majeur des états de ilènutrition. Elle s’associe souvent à un état dépressif et cette perte de « tonus » constitue en elle-même un facteur d’entretien du processus.
Amaigrissement. — Il n’est pas constant et il ne faut pas réfuter la dénutrition sous prétexte que la perte de poids est modique et que le panicule adipeux est conservé. A l’opposé, des œdèmes peuvent masquer lu perte de poids.
Troubles digestifs. — Ils sont pratiquement constants et l’anorexie est tin élément essentiel. Cette dernière s’associe à une hyposalivation, parfois une glossite, des troubles dyspeptiques et une constipation.
Troubles cutanés ou phanériens : peau sèche et écailleuse, pigmentation variée de type pellagroïde, perlèche… Tous ces signes peuvent être ilus à des carences associées en oligoéléments et vitamines.
4. Conséquences des dénutritions : Conséquences au cours des affections aiguës ou chroniques. — ta dénutrition augmente leur morbidité et leur mortalité. Elle est source d une mauvaise cicatrisation, notamment dans les périodes post-opératoires. La mauvaise trophicité des tissus peut être responsable d’éventra- lion, voire d’éviscération.
Déficit immunitaire. — La dénutrition favorise les infections. Cette plus grande fréquence des infections est due à un déficit de l’immunité. I ’immuno-incompétence observée peut être majorée par l’affection sous-jacente (cancer) ou le terrain (diabète, éthylisme…).
C’est essentiellement l’immunité à médiation cellulaire (dépendante des I lymphocytes) qui est altérée dans les états de dénutrition. Elle peut i‘tre explorée par les réactions cutanées d’hypersensibilité retardée à différents antigènes (tuberculine, candidine, streptokinase, varidase). I ’existence d’une anergie totale ou relative est un élément de mauvais pronostic, corrélée avec la mortalité notamment ches les malades infectés
ou post-opérés. Les autres tests (comptage des T lymphocytes circulant*, transformation lymphoblastique par stimulation à la phytohémaggluli nine, production de lymphokines, inhibition de la migration des leucocy j tes) sont moins souvent utilisés. La correction de la dénutrition normu lise les tests de l’immunité à médiation cellulaire (sauf dans la période néonatale ou postnatale précoce).
L’immunité à médiation humorale (liée aux lymphocytes B) ne parait pas modifiée au cours des états de dénutrition. La réponse anticorps cul généralement normale (sauf lorsque la réponse nécessite une coopération des lymphocytes T-Helper, notamment pour les IgG). Les IgE sont souvent élevées.
Anomalies de certaines fonctions des polynucléaires. — Quoique le nombre de leucocytes ne soit pas modifié, ces anomalies s’observem dans les malnutritions (chimiotaxie, phagocytose, bactéricidie).
Altération du système du complément, essentiellement par déli cience protéique.
5. Etiologie des dénutritions. — De nombreuses affections peuvenl être responsables de dénutrition. Les cancers et hémopathies sont une des grandes causes du fait de l’anorexie, parfois de dysphagie. Cette dénutrition d’apport peut être majorée par les traitements (chimiothém pie, radiothérapie, chirurgie), les tares associées (alcoolisme, tabagisme), Le diabète insulinoprive de l’adolescent ou de l’adulte jeune, les viroses chroniques ou subaiguës, les maladies systémiques, les suppurations profondes, certaines maladies chroniques (ulcère chronique, pancréatite chronique, tuberculose) sont des causes de dénutrition.
Un grand nombre d’affections intestinales responsables de malabsorp tion peut être source de dénutrition : maladie de Crohn, iléite tubercu leuse, rectocolite hémorragique, résections intestinales.
Le pronostic des dénutritions secondaires est celui de la maladie causale; cependant, la correction de la dénutrition est susceptible de le modifier favorablement.
6. Traitement. — La détermination du traitement diététique nécessile l’appréciation de la part respective de la dénutrition énergétique et de lu dénutrition protéique et, pour cette dernière, de la part de l’anorexie el du catabolisme.
- Traitement de la dénutrition énergétique. — En cas de dénutrition énergétique, on utilise selon le degré d’anorexie et l’état des voies digestives, soit les préparations culinaires caloriques habituelles, en vérifiant que la ration calorique est supérieure à 2 000 Cal et effectivement absorbée, soit des préparations pâteuses. Lorsque l’alimentation orale est insuffisante, il faut avoir recours à l’alimentation artificielle .
- Traitement de la dénutrition protéique. — L’apport protéique doit être au moins égal à la moitié de l’apport protéique initial, et en valeur absolue supérieur à 50 g/j. On doit obtenir progressivement des apports journaliers de 100 à 120 g/j au moins. Les protéines utilisées doivent flic de bonne valeur biologique. L’apport énergétique doit être suffisant pour permettre un anabolisme protéique (100 à 130 Cal/g d’azote). Un apport potassique abondant est nécessaire, l’anabolisme de un gramme d’azote fixant 5 mmol de potassium. L’apport en potassium permet de picvenir une hypokaliémie mortelle. L’alimentation artificielle doit être utilisée chaque fois que la voie orale est insuffisante.
Le principe essentiel à observer chez ces malades est celui d’une alimentation progressive. En effet, la dénutrition est source d’une liyposécrétion digestive et d’une hypoabsorption. Une réalimentation Irop brutale peut avoir des conséquences dramatiques dominées par la ilmrrhée, éventuellement des vomissements et des troubles hydroélectro- lyliques qui peuvent expliquer la survenue d’un collapsus parfois mortel.
La surveillance de la renutrition est fondée sur l’appréciation des imramètres nutritionnels cliniques et biologiques et sur le bilan azoté.
- Traitement préventif. — Le véritable traitement des dénutritions est préventif. Au cours de toute affection aiguë ou chronique, il faut vérifier que la ration calorico-protidique orale est suffisante et avoir recours si besoin à l’alimentation artificielle (cf. chapitre 11).
Carences d’apports isolées
Les carences d’apports isolées sont dues à des conditions socio-économiques défectueuses, et à des troubles du comportement alimentaire. Leur diagnostic ne peut être porté qu’après avoir éliminé une cause organique.
1. dénutritions dues aux conditions socio-économiques : Depuis le début du XXe siècle, les disettes et famines sont observées pendant les «lierres et dans le tiers-monde. Dans les pays industrialisés, 5 p. 100 de iii population ont une ration alimentaire insuffisante. 11 s’agit de sujets rxclus du système social (clochards, groupes idéologiques), de travailleurs immigrés, de vieillards isolés.
L’interrogatoire alimentaire est souvent difficile. Les déficit« énergétique et protidique sont détectés par les examens simples (poids, pli cutané tricipital, périmètre musculaire, albuminémie). La réalimentation doit être faite par voie orale et de façon très progressive.
2. dénutritions par troubles du comportement alimentaire :
- Régime d’exclusion. — Certains sujets éliminent de leur consommation des aliments ou groupes d’aliments qui leur occasionnent des troubles digestifs subjectifs, sans lésion organique. Le diagnostic repose sur l’interrogatoire alimentaire. Le traitement doit apporter les nutriments manquant par des produits de remplacement.
- Régimes amaigrissants. — Certains régimes amaigrissants ont un« ration protéique basse et des apports vitaminiques insuffisants. L’interrgatoire alimentaire doit s’assurer que le régime contient au moins 60 p de protéines par jour, du calcium, du fer, et des polyvitamines.
- Anorexies mentales. — L’anorexie mentale est soit le symptôme d’une maladie psychotique soit un syndrome autonome.
Le tableau typique est celui de l’anorexie essentielle de la jeune fille où il existe une réduction des apports sans anorexie vraie, la sensation de faim étant conservée pendant longtemps. Il peut exister des phases de boulimie. Le rendement intellectuel reste bon. L’aménorrhée est cons tante, parfois très précoce avant que n’apparaissent les signes de dénutnition. Les examens complémentaires confirment la dénutrition protéique et énergétique. Au plan endocrinien, il existe un non fonctionnemenl ovarien, souvent une insuffisance surrénalienne modérée et un syndronn de basse T3.
Le traitement comprend une réalimentation progressive, commencèc en dehors du cadre familial. Le recours à l’alimentation artificielle (cl chapitre 11) est souvent nécessaire au début. Une psychothérapie doit être couplée à cette thérapeutique nutritionnelle.