Des minéraux pour accompagner l'énergie : Les pièges du sel
S’il suffisait d’apporter de l’énergie en proportion équilibrée pour résoudre les problèmes nutritionnels, la problématique de l‘alimentation humaine serait fort simple. Or la fraction non énergétique des aliments, et en particulier l’apport des minéraux, joue un rôle fondamental dans les équilibres physiologiques et le maintien de la santé. Théoriquement, il serait possible d’ajuster la composition des aliments en minéraux pour obtenir les apports soi limités, d’ailleurs cette approche est couramment utilisée en nul ri lion animale.
En alimentation humaine, la gestion des apports en miné- i.hix est plus difficile à maîtriser. En effet, une utilisation élevée les matières grasses et de glucides purifiés diminue fortement la densité nutritionnelle des régimes en minéraux. Quelques aliments particuliers sont supplémentés en minéraux, c’est le cas des farines pour bébés, de quelques boissons ou produits laitiers. Cependant l’enrichissement de quelques aliments ne permet pas de pallier les conséquences négatives de l’abondance des calories vides. Cette situation ne se traduit pas nécessairement par des carences fortes et facilement décelables en minéraux ; toutefois l’organisme est contraint à s’adapter à ce manque, ce qui le fragilise et le rend plus sensible à certaines pathologies en amoindrissant ses défenses immunitaires.
Sur le plan de la vulgarisation, l’attention du public est attirée sur le déficit en certains minéraux pour favoriser la consommation des aliments qui en sont riches. Ainsi, il existe un discours très incitatif pour la consommation des produits laitiers en vue de satisfaire les besoins en calcium ou pour la consommation de viandes en vue d’apporter du fer très disponible. D’autres minéraux moins identifiés à des aliments particuliers ne bénéficient pas du même soutien diététique. En fait, cette approche centrée sur un minéral particulier est insuffisante puisqu’il est nécessaire de couvrir au mieux les besoins d’un ensemble de minéraux par la diversité alimentaire. Une des premières conditions pour assurer un bon statut en minéraux est aussi d’éviter de les perdre au cours des transformations alimentaires.
Pour une majorité de minéraux, les apports sont plutôt insuffisants par rapport à l’abondance énergétique des régimes à l’exception de deux minéraux qui se révèlent souvent en excès dans l’alimentation humaine, il s’agit du phosphore très abondant dans les viandes, les poissons et les produits céréaliers, et du sodium apporté par le sel.
Les pièges du sel
Un des progrès majeurs de la nutrition minérale serait de mieux assurer l’équilibre des deux minéraux essentiels à l’organisme : le sodium présent dans le sang et le secteur extracellulaire, et le potassium concentré dans les cellules. Pour bien fonctionner, l’organisme aurait besoin d’un apport plus élevé de potassium que de sodium ; le non-respect de cette règle a des conséquences considérables sur la prévalence de l’hypertension et des maladies cardio-vasculaires dans le monde.
Le geste du médecin qui place son stéthoscope sous un brassard gonflable pour mesurer notre tension nous est familier. Les deux chiffres qu’il nous annonce sont ceux de la pression artérielle. Le rôle de cette dernière est de maintenir un débit sanguin adéquat garant de la bonne oxygénation des organes et des tissus. La pression artérielle oscille au rythme de la pulsation cardiaque entre une valeur minimale, diastolique qui correspond à la relaxation du cœur, et une valeur maximale, systolique correspondant à la contraction cardiaque. Ces valeurs ne sont pas constantes, elles fluctuent continuellement au cours de la journée autour d’une valeur moyenne, pour permettre à l’organisme de s’adapter aux circonstances de la vie quotidienne (exercice physique, stress, sommeil…).
Néanmoins, pour un individu donné, les deux valeurs au repos de la pression artérielle, mesurées à chaque visite médicale, sont relativement constantes. Dans la population générale, ces valeurs se distribuent selon une courbe en cloche. Les études épidémiologiques révèlent clairement que plus la pression artérielle est élevée (systolique ou diastolique), plus le risque est grand de développer des maladies cardio-vasculaires comme l’infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux.
! hypertension peut être largement prévenue par un mode de vie sain avec de bonnes habitudes alimentaires et la pratique d’un exercice physique suffisant. Les principaux facteurs alimentaires responsables de l’hypertension sont : une consommation excessive de chlorure de sodium (sel de table), un apport insuffisant de potassium et de fruits et légumes, une consommation excessive d’alcool. Au contraire, contrôler son poids, faire Je l’exercice physique et consommer en abondance des produits végétaux complexes, manger peu salé sont parmi les moyens les plus sûrs pour prévenir l’hypertension ou en retarder son apparition chez les sujets à risque.
Un très grand nombre d’enquêtes épidémiologiques ont permis de montrer que l’excès de sel et le relatif déficit des aliments en potassium avaient une influence déterminante dans le développement de l’hypertension. L’origine d’un tel phénomène est à rechercher dans l’histoire de l’humanité. Les primates comme autre mammifères ont évolué pendant plusieurs dizaines de millions d’années dans un environnement particulièrement pauvre en sel. C’est seulement depuis dix mille ans environ que l’habitude d’ajouter de grandes quantités de sel dans la nourriture s’est répandue dans l’espèce humaine. Cette habitude a été adoptée au commencement de l’agriculture et de l’élevage avec la nécessité de conserver la nourriture pendant de longues périodes. De nos jours, la consommation individuelle moyenne de sel dans les pays industrialisés est d’environ 10 g par jour et celle de potassium d’environ 3 g. On estime que la consommation de sel chez les chasseurs-cueilleurs était inférieure à 1 g et celle du potassium supérieure à 10 g. Ainsi, le rapport de ces deux minéraux a complètement changé en faveur du sodium.
En parallèle de ces changements alimentaires, nos gènes n’ont pas beaucoup évolué depuis dix mille ans. Notre patrimoine génétique est encore adapté aux apports bas en sodium et élevés en potassium qui ont prévalu pendant les dizaines de millions d’années d’évolution des mammifères. Durant cette immense période, les espèces y compris l’espèce humaine ont accumulé des mutations et des polymorphismes génétiques leur permettant de survivre avec un régime pauvre en sodium et riche en potassium. Les organismes ont acquis ainsi une capacité étonnante de conservation du sodium afin de lutter contre les fuites possibles par les voies urinaire, sudorale et digestive. Cette inadéquation entre nos gènes et notre alimentation actuelle expliquerait l’impact des régimes riches en sodium et pauvres en potassium dans la survenue de l’hypertension et des maladies cardiovasculaires associées.
La relation entre l’apport journalier en sel et la pression artérielle a pu être mise en évidence par l’absence quasi complète d’hypertension chez les populations qui absorbent moins de 3 g de sel par jour et par personne, et par la forte incidence de l’hypertension chez les populations qui en consomment plus de 20 g. L’exemple du Japon est très instructif; entre 1950 et I960, la prévalence des hémorragies cérébrales avait une distribution régionale qui corrélait remarquablement à la fois l’apport alimentaire de sel et la fréquence de l’hypertension. À partir d’un nombre important d’études portant sur une grande diversité de populations, il a pu être montré que la pression artérielle était bien corrélée à l’apport de sel. Le niveau de consommation de sel est donc essentiel pour prédire le risque d’hypertension au sein d’une population, mais, cependant, tous les sujets n’y sont pas également sensibles.
Puisqu’il existe une relation entre le développement de l’hypertension et les risques cardio-vasculaires comme l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral, la réduction du sel à l’échelon d’une population est une des mesures qui peuvent contribuer à diminuer l’incidence de ces pathologies. De plus, il apparaît que les personnes en surpoids ou obèses sont beaucoup plus sensibles à l’apport de sel que les personnes ayant un poids corporel normal. Les bénéfices en termes de pression artérielle et de fréquence des accidents cardio-vasculaires induits par une diminution du sel ingéré peuvent s’additionner aux effets bénéfiques de la diminution du poids corporel confirmant ainsi la nature multifactorielle du déterminisme de ces pathologies. La réduction des apports de sel aurait plusieurs autres effets bénéfiques sur le système cardio-vasculaire qui semblent indépendants du niveau de pression artérielle.
Bien que la réduction des apports de sel constitue un facteur important, voire déterminant pour la prévention des maladies cardio-vasculaires et également de l’ostéoporose (le sel accroît 1rs pertes de calcium urinaire), la décision d’œuvrer clairement dans ce sens ne fait pas toujours consensus. Pour justifier cette réticence, le secteur de production alimentaire s’appuie sur le lait que la nocivité du sodium n’est pas la même chez tous les u jets. La nutrition préventive s’attache au contraire à mettre à la disposition de l’organisme des apports alimentaires optimaux pour faciliter le fonctionnement de l’organisme, et cela est la seule méthode rigoureuse et efficace pour une bonne gestion de la santé.
En pratique, il est important de réduire en particulier le sel caché des aliments, celui du pain, des fromages, des conserves, de nombreux produits transformés. Il faut noter que la recherche du goût salé dépend du niveau d’apport quotidien en sel, c’est pourquoi il est possible dans ces conditions de se déshabituer progressivement et très fortement du sel. De plus, il serait judicieux que le consommateur puisse utiliser le sel à bon escient en association avec les autres condiments. À cette fin, la richesse en sel dans les aliments transformés devrait être plus clairement indiquée et surtout réduite au maximum.
Cependant, pour obtenir la meilleure efficacité préventive, la baisse de consommation du sel ne suffit pas si elle n’est pas accompagnée d’une augmentation des apports en potassium. Cet élément, très abondant dans les cellules, en permanence échangé avec du sodium pour rester dans le contenu cellulaire, est un véritable antidote au sodium. La participation du potassium à la prévention de l’hypertension et des maladies cardio-vasculaires peut sembler plus indirecte que celle du sodium. Pourtant, augmenter l’apport en potassium permet non seulement de réduire la pression artérielle, mais aussi le besoin de médicaments anti- hypertenseurs. Il est probable que l’effet hypotenseur des régimes riches en fruits et légumes résulte pour une bonne part de leur richesse en potassium.
Le potassium présent dans les produits végétaux tels que les fruits, les légumes et les pommes de terre se trouve essentiellement sous forme de sels de citrate, malate ou d’autres acides organiques et non de chlorure de potassium. Ces sels naturels de potassium présentent l’avantage d’être des éléments alcalinisant (ils sont transformés en équivalents bicarbonate dans l’organisme) qui ont pour effet de réduire les pertes urinaires de calcium, en particulier celles qui sont induites par les apports excessifs de chlorure de sodium et de protéines. Longtemps, le potassium alimentaire, largement éliminé dans les urines, a été considéré comme un élément en excès. Cela est surprenant puisqu’il est certain que les organismes ont été adaptés à des apports de potassium élevés et de sodium faibles. L’effet bénéfique d’un apport élevé en potassium sur la morbidité et la mortalité cardio-vasculaire a d’ailleurs pu être confirmé par plusieurs grandes études épidémiologiques. Paradoxalement ce minéral ne bénéficie pas d’apports nutritionnels conseillés au même titre que tous les autres éléments. Or notre organisme a sans doute besoin d’une abondance de potassium pour bien fonctionner, pour que les cellules fassent le plus facilement possible le plein de ce minéral, ce qui a certainement de nombreux impacts cellulaires favorables telle la sensibilité des tissus à l’insuline.
Dans les pays industrialisés, le régime alimentaire est caractérisé par de faibles apports de potassium (de l’ordre de 2 à 3 g par jour). Il est fort probable que les résultats d’enquêtes épidémiologiques sur les effets délétères du sodium auraient été encore plus nets si on avait considéré la valeur du rapport potassium/sodium. On pense que le potassium permettrait d’augmenter l’excrétion rénale de sodium et réduirait celle du calcium et du magnésium, deux minéraux également favorables au maintien de la tension artérielle.
Le discours sur la prévention de l’hypertension ne doit pas être limité à la seule réduction du sodium, et il faudrait mettre plutôt l’accent sur l’équilibre du rapport potassium/sodium. Pour être vraiment efficace en matière de conseils diététiques, il est intéressant de souligner l’intérêt des bonnes associations alimentaires. On peut recommander ainsi de toujours associer à un aliment salé un produit riche en potassium. Par exemple : du jambon avec du melon, des charcuteries avec des pommes de terre ou des légumes secs, du fromage avec de la salade ou des pommes de terre, des viandes avec des légumes, etc. À l’inverse, il est peu judicieux d’associer deux produits salés ou pauvres en potassium : pain-fromage, pain-charcuterie, pâtes-fromage sans y ajouter un produit végétal complexe naturellement riche en potassium. Ces conseils diététiques sont bien sûr à apprécier également à l’échelon d’un repas entier. Ils constituent une méthode didactique simple et efficace pour lutter contre l’hypertension. La maîtrise du rapport potassium/sodium constitue une bonne stratégie à la fois pour guider les comportements alimentaires individuels et améliorer sensiblement l’état de santé des populations.