Complications médicales :
Les troubles du comportement alimentaire sont habituellement classés au chapitre des pathologies psychiatriques. Ils sont néanmoins source de complications médicales dont les répercussions peuvent être lourdes en termes de morbidité et de mortalité :
– un certain nombre de modifications physiologiques traduisent un syndrome d’adaptation à l’hypométabolisme de base lié à la diminution des apports énergétiques. Ces éléments constitutifs sont susceptibles de conforter un diagnostic d’anorexie mentale, notamment dans les formes atypiques ;
– certaines complications indiquent un état pathologique grave et peuvent conduire au décès. Leur reconnaissance et leur traitement sont essentiels pour améliorer le pronostic de ces futurs adultes.
Le tableau anorexique:
A côté de l’équation classique : 3 A = Amaigrissement + Anorexie + Aménorrhée, un certain nombre de signes cliniques et biologiques figurent habituellement dans la séméiologie de l’anorexie mentale. La plupart d’entre eux sont la conséquence de l’état de dénutrition, et sont réversibles avec la guérison de celui-ci.
Signes généraux :
Ce sont essentiellement l’amaigrissement, l’anorexie et l’altération de l’état général, auxquels s’ajoute une hypothermie avec trouble de la thermorégulation. Les patientes se plaignent en effet très souvent d’une frilosité.
Signes cutanés :
On constate souvent une acrocyanose au niveau des mains, des pieds et de la pointe du nez. La peau est sèche, ichtyosique, carotinémique et parfois le siège du développement d’un lanugo (duvet de poils fins), voire d’une hypertrichose. Dans les formes avec amaigrissement extrême, la peau peut laisser apparaître un purpura d’origine vasculaire, au niveau de l’abdomen. Les ongles sont cassants, les cheveux ternes et raréfiés. Les anorexiques peuvent parfois présenter des lésions de brûlures, notamment au niveau des membres inférieurs ou du siège, après un séjour prolongé contre un radiateur.
Signes cardiovasculaires :
L’appareil cardiovasculaire attire constamment l’attention par une instabilité hémodynamique avec bradycardie quasi constante (< 60/mn) et hypotension artérielle (généralement < 10 pour la maxima). Ces signes sont parallèles à la réduction de la masse du muscle cardiaque. La bradycardie n’a rien à voir avec celle du « cœur sportif ». La réponse cardio-vasculaire à l’effort est même inadaptée, avec insuffisance de l’augmentation du rythme cardiaque et de la pression artérielle à l’exercice. L’hypotension orthostatique est également fréquente. Elle est la cause principale des malaises que peuvent éprouver ces patientes.
Tous ces éléments invitent à beaucoup relativiser la valeur de l’exercice physique parfois considérable auquel certaines anorexiques peuvent s’astreindre.
Signes digestifs :
L’appareil digestif est également altéré par la dénutrition.
– La constipation est très commune. Bien que les patientes ne s’en plaignent que rarement, le ralentissement du transit peut aboutir avec la déshydratation à la constitution de fécalomes, facilement palpables sous une paroi abdominale très fine.
– Un retard à la vidange gastrique est également fréquent.
Il s’amende en général lors de la reprise pondérale, mais peut néanmoins persister bien au-delà. Le retard à la vidange gastrique, couplé à la constipation, témoigne d’une véritable atonie intestinale.
– Des anomalies hépatiques sont possibles et se traduisent le plus souvent par une augmentation modérée des transaminases (< 5N), plus rarement par une discrète élévation de la LDH ou de la bilirubine. Des biopsies hépatiques, lorsqu’elles ont été pratiquées, ont parfois montré des foyers de nécrose focale et une infiltration graisseuse. Les phosphatases alcalines, du fait d’un ralentissement du métabolisme osseux, sont plutôt basses dans l’anorexie mentale. Ceci contraste avec leur taux normalement plutôt modérément augmenté en cours de puberté. La constitution d’une hépatomégalie est possible au cours d’une renutrition rapide (en particulier sous nutrition entérale continue (NEC)). Secondaire à une stéatose, et réversible, elle ne doit pas être confondue avec un foie cardiaque.
Signes hématologiques et immunologiques :
– La numération formule sanguine retrouve assez souvent une atteinte des trois lignées, avec une anémie modérée normochrome, normo ou macrocytaire, une leuconeutropénie et une thrombopénie. L’interprétation de ces données doit tenir compte de l’état d’hydratation des patientes. Ces modifications traduisent une hypoplasie médullaire en rapport avec l’appauvrissement du stroma médullaire en graisse et son infiltration par une substance gélatineuse amorphe constituée de mucopolysaccharides acides.
Les carences en vitamine B12 ou folates sont exceptionnelles. Des anomalies morphologiques des globules rouges sont parfois repérées sur le frottis : acanthocytose, anisocytose, poï- kilocytose pour ne citer que les plus fréquentes. Les patientes porteuses d’une leuconeutropénie ne présentent pas une fréquence plus élevée de complications infectieuses car la margination des globules blancs reste normale.
– La vitesse de sédimentation est basse, liée à la diminution de la production de fibrinogène par le foie dans les situations de dénutrition. En pratique, toute VS > 10 chez une anorexique doit être considérée comme suspecte, et faire rechercher une cause d’infection ou d’inflammation.
– Des anomalies de l’immunité humorale peuvent être observées : hypogammaglobulinémie, hypocomplémentémie. En revanche, l’immunité cellulaire reste longtemps préservée (hypersensibilité retardée, test de transformation hymphoblastique).
Anomalies endocriniennes :
– Les troubles endocriniens sont dominés par le retard pubertaire ou l’aménorrhée selon l’âge de début.
– L’atteinte de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique, lié à un trouble de la régulation du GnRH au niveau hypothalamique, se traduit par des taux bas d’œstradiol et de progestérone chez la fille, de testostérone chez le garçon. Les taux des gonadotrophines LH et FSH sont également faibles, mais ces hormones restent stimulables par un test au LHRH avec une réponse de type prépubère.
– Les tests de stimulation de l’hormone de croissance (GH) ne retrouvent habituellement pas de déficit, le taux de GH pouvant même être élevé. Mais la somatomédine C (IGF1) est abaissée comme dans les autres situations de dénutrition.
– Au niveau thyroïdien, le taux de TSH est normal avec une réponse adéquate, bien que retardée, à la stimulation par la TRH. Le taux de T4 est également normal mais la déiodation de la T4 favorise la formation de rT3 aux dépens de la T3, plus active sur le plan métabolique. Il existe donc une situation d’hypothyroïdie périphérique.
– L’axe surrénalien est également affecté dans l’anorexie mentale avec perte de la régulation du cortisol sur le nycthémère, taux élevés de cortisol plasmatique et de cortisol libre urinaire (FLU). Cet hypercortisolisme semble lié à l’augmentation de la demi-vie du cortisol.
– Il existe souvent des troubles de la régulation de l’hormone antidiurétique avec possibilité de sécrétion inappropriée ou au contraire de déficit partiel.
– Une hypercholestérolémie portant sur le cholestérol LDL est fréquente ; son interprétation reste délicate (elle pourrait être surtout liée à la mobilisation des graisses, lors des périodes de modifications pondérales rapides). Cette hypercholestérolémie est le plus souvent modérée.
– La prolactine et la parathormone sont en règle normales dans l’anorexie mentale.
Les complications de l’anorexie mentale:
Complications cardiaques :
– La réponse cardiovasculaire à l’exercice physique est inadaptée chez l’anorexique, avec insuffisance de l’augmentation du rythme cardiaque et de la pression artérielle. Des cas de souffrance myocardique à l’effort avec sous-décalage du segment ST à l’ECG ont même été décrits.
– Des anomalies électrocardiographiques sont fréquentes chez les patientes les plus dénutries et doivent faire l’objet d’une surveillance rapprochée. Des troubles du rythme et de la conduction ont été rapportés par de nombreuses études (fibrillation et flutter auriculaires, blocs auriculoventriculaires du 1er et du 2e degré, extrasystoles ventriculaires ou supraventriculaires, bloc de branche) et l’on attachera une attention particulière à l’allongement de l’espace QT corrigé (> 0,44 sec). Cette anomalie électrique a pu être observée dans quelques observations d’anorexiques très dénutries, quelques jours avant leur décès par mort subite. C’est pourquoi un ECG préalable et la plus grande prudence s’imposent lors de la prescription de certains médicaments, et en particulier les antidépresseurs tricycliques.
– Des anomalies échocardiographiques sont également fréquentes, qui ne semblent pas néanmoins engager le pronostic vital. Le prolapsus mitral (plus rarement tricuspide) est une anomalie rencontrée plus fréquemment chez l’anorexique très dénutrie (jusqu’à 1/3 des cas) que dans la population générale. Elle n’est pas toujours associée à une insuffisance valvulaire.
Un épanchement péricardique, le plus souvent de faible abondance et de localisation inféropostérieure, est parfois découvert à l’échographie. Il disparaît avec la renutrition.
– Enfin, une cardiopathie congestive est possible lors de la phase initiale de réalimentation d’anorexiques très dénutries. Nous ne saurions que trop insister sur le respect de règles très strictes d’apports initialement limités lors de cette phase afin d’éviter de telles situations, potentiellement mortelles.
Complications digestives :
– Le syndrome de la pince mésentérique résulte de la compression de la troisième portion du duodénum au niveau de la troisième vertèbre lombaire, entre l’aorte en arrière et l’artère mésentérique supérieure en avant. Une anorexie avec amaigrissement massif peut favoriser sa survenue du fait de la disparition de la graisse mésentérique et de la fermeture de l’angle formé par cette artère et l’aorte.
La forme aiguë doit être systématiquement évoquée devant des signes d’occlusion digestive haute, a fortiori accompagnés d’une dilatation importante de l’estomac. Elle s’accompagne d’une franche altération de l’état général.
Dans sa forme chronique, le syndrome de la pince mésentérique peut poser un problème de diagnostic différentiel lorsqu’il aboutit à un tableau de malnutrition avec évitement alimentaire pouvant simuler l’anorexie mentale.
– La dilatation aiguë de l’estomac est une complication rare de l’anorexie mentale, mais létale en cas de perforation d’une zone infarcie. Elle survient presque toujours après une absorption alimentaire anormalement importante : accès boulimique ou réalimentation plus ou moins forcée. Les facteurs favorisants sont la prescription de psychotropes risquant d’aggraver la dyskinésie digestive, l’effet du stress lors d’une réalimentation sur le contrôle nerveux autonome de la motricité gastrique, ou l’existence d’une pince mésentérique. Le diagnostic doit être évoqué devant tout tableau d’occlusion digestive haute. Il est confirmé par un transit gastroduodénal qui doit être prudent et utiliser un produit hydrosoluble, faiblement osmolaire et non ionique, dans l’éventualité d’un passage intrapéritonéal. En cas de rupture gastrique, la gastrectomie en urgence est le seul traitement, mais la mortalité opératoire est très lourde. En l’absence de rupture gastrique, le traitement médical associe une aspiration digestive, la correction des troubles hydroélectrolytiques et une renutrition par voie parentérale. Dans ces conditions, l’évolution est le plus souvent favorable, l’estomac retrouvant un volume normal dans un délai de 15 jours à un mois.
– Les vomissements chroniques (voir plus loin : Situations à risque particulier), rencontrés surtout dans les tableaux avec boulimie, sont susceptibles de provoquer des troubles œsophagiens, avec, par ordre de fréquence décroissante :
– une œsophagite peptique, dont le diagnostic suspecté cliniquement est confirmé par l’endoscopie ;
– un syndrome de Mallory-Weiss. Souvent précédé de vomissements ou de nausées violentes, l’hématémèse est en général de faible abondance. La fibroscopie œsogastrique découvre une fissure linéaire unique, allongée suivant l’axe de l’œsophage au niveau de la jonction œsocardiale ;
– un syndrome de Boerhaave, rarissime, mais dont le pronostic est redoutable. Il s’agit d’une rupture de l’œsophage secondaire à des vomissements, avec symptomatologie extrêmement bruyante et médiastinite.
– D’autres complications digestives ont été décrites : lithiases vésiculaires et pancréatites aiguës, dont la symptomatologie est identique aux formes cliniques courantes. Des signes évocateurs de pancréatite doivent néanmoins inviter à se méfier d’un ventre chirurgical aigu dont le diagnostic sur un terrain anorexique n’est pas toujours aisé en cas d’absence de fièvre, d’accélération de la VS ou de polynucléose.
Complications immuno-hématologiques :
– Des aplasies médullaires graves ont été décrites dans l’anorexie mentale. Elles représentent la forme extrême de l’appauvrissement du stroma médullaire en graisse et de son infiltration par une substance gélatineuse amorphe.
– Les accidents infectieux ne sont pas fréquents dans la population anorexique. Mais, lorsqu’ils surviennent, leur diagnostic est parfois difficile par absence possible de fièvre, d’accélération de la VS ou de polynucléose.
Complications endocriniennes :
– Une hypoglycémie est à rechercher systématiquement chez les patients très dénutris. Elle serait due à un déficit des précurseurs de la néoglucogenèse et de la production de glucose.
– Chez les patients dénutris en général, un état de résistance à l’hormone de croissance est présent. Il est réversible sous renutrition correcte. Un retard de croissance staturale peut compliquer l’anorexie mentale, lorsque celle-ci débute avant ou pendant la croissance pubertaire. Dans ces situations et lorsque les troubles du comportement alimentaire persistent jusqu’à la date de fusion des épiphyses, les effets sur la taille peuvent être irréversibles et aboutir à un nanisme.
Complications squelettiques :
L’ostéopénie dans l’anorexie mentale bénéficie depuis quelques années d’une attention particulière grâce aux nouvelles techniques non invasives de mesure de la masse osseuse, dont l’absorptiométrie biénergétique. L’adolescence étant la période durant laquelle la moitié de la masse osseuse est acquise, on comprend qu’une situation d’anorexie mentale puisse réduire considérablement le capital osseux à l’âge adulte. L’ostéopénie, multifactorielle, est principalement la conséquence des facteurs nutritionnels, auxquels s’ajoute l’effet des troubles hormonaux (carence œstrogénique, élévation du cortisol). Cette ostéopénie peut être suffisamment sévère pour entraîner des compressions vertébrales et des fractures, y compris chez des sujets encore adolescents. La symptomatologie n’est pas toujours franche dans ce contexte (syndrome prémonitoire), et toute suspicion de fracture non confirmée sur les clichés osseux mérite une exploration plus poussée par scintigraphie osseuse.
Complications neurologiques :
– Il n’est pas rare non plus de constater à l’imagerie cérébrale (TDM, IRM) une dilatation des ventricules et des espaces sous-arachnoïdiens associée à une atrophie corticale. Mais ces images n’ont pas toujours une traduction clinique évidente. On sait maintenant qu’elles sont toujours réversibles avec la renutrition.
– Des crises convulsives sont possibles, essentiellement dans deux situations : les hypoglycémies et les intoxications par l’eau avec hyponatrémie et œdème cérébral. Dans les deux cas, elles ont un pronostic a priori très péjoratif.
– Des neuropathies périphériques par neuropraxie sont possibles. Elles concernent surtout le sciatique poplité externe (SPE) et sont contemporaines d’un amaigrissement très rapide avec compression au col du péroné par maintien prolongé de la position jambes croisées. Le rôle d’une éventuelle carence vitaminique associée (groupe B) est possible, mais rarement prouvé. Ces paralysies du SPE guérissent avec la reprise du poids, mais souvent après plusieurs mois.
Complications rénales :
Les complications rénales rencontrées dans l’anorexie mentale sont presque toujours transitoires.
– L’insuffisance rénale fonctionnelle est la complication rénale la plus fréquente. Secondaire à une hypoperfusion rénale, elle peut être la conséquence d’une insuffisance d’apports hydriques, majorée le cas échéant par des manœuvres purgatives : vomissements chroniques, abus de laxatifs, abus de diurétiques.
Le syndrome biologique comporte une oligurie avec des urines très concentrées (U/P urée > 10, U/P osm > 2). Les urines sont pauvres en sodium (natriurèse < 20 mmol/1) et riches en potassium (Na/K urinaire < 1) témoignant de l’hyperaldostéronisme secondaire à l’hypovolémie.
– La néphropathie hypokaliémique s’observe lorsque l’hypokaliémie est responsable d’altérations des fonctions tubulaires rénales. Alors que l’hypokaliémie s’accompagne fréquemment d’une alcalose métabolique, on note au niveau urinaire une acidurie paradoxale avec un pH < 7. Peuvent également être observées une protéinurie et une polyurie hypotonique.
Complications métaboliques :
Dans les situations d’anorexie mentale restrictive stricte, l’homéostasie est longtemps maintenue, tant que la perte de poids n’excède pas 25 %. Ce n’est pas le cas avec les manœuvres purgatives (vomissements provoqués, abus de laxatifs ou de diurétiques, conduites polydipsiques) qui, lorsqu’elles existent, sont volontiers inavouées, voire niées. Leur dépistage et leur éventuelle correction constituent toujours une priorité thérapeutique car ces manœuvres peuvent induire de graves désordres métaboliques, susceptibles à eux seuls d’engager le pronostic vital.
– L’hypokaliémie fera l’objet d’un développement plus détaillé.
– L’hypophosphorémie est toujours à rechercher, a fortiori dans les situations de grande dénutrition. Elle risque d’apparaître ou de s’aggraver lors de la phase initiale de réalimentation et nécessite une supplémentation avec surveillance des taux sériques. Il faut particulièrement éviter les perfusions glucosées sans supplémentation phosphatée chez les anorexiques très dénutries. Les hypophosphorémies sévères (< 0,30 mmol/1) peuvent être responsables de rhabdomyolyse, de décompensation cardiaque, de troubles neurologiques : paresthésies, fatigue musculaire, diminution de la vitesse de conduction nerveuse, et même de mort subite. Des cas de défaillance respiratoire aiguë ont aussi été rapportés.
– L’hypocalcémie et l’hypomagnésémie peuvent se rencontrer dans l’anorexie mentale. Mais c’est surtout lors de la correction d’une hypokaliémie qu’elles sont habituellement démasquées.
– L’hypoglycémie est possible, surtout chez les patientes qui, indépendamment de leur degré d’amaigrissement, traversent une phase d’aphagie quasi totale. Elle reste presque toujours asymptomatique chez les adolescentes, mais son pronostic semble sévère chez l’adulte. Elle doit toujours être recherchée en cas de chute pondérale accélérée (par exemple, perte > 2 kg en une semaine), et justifie à elle seule dans ce contexte une surveillance et une correction en milieu hospitalier.
Situations à risque particulier :
Vomissements chroniques :
Les vomissements, le plus souvent postprandiaux et provoqués, sont fréquents au cours de l’anorexie mentale. Dès lors qu’ils ne sont qu’épisodiques ou temporaires, ils ne s’accompagnent pas en général de désordres particuliers.
Les vomissements chroniques, en revanche, sont beaucoup plus problématiques. Ils se rencontrent essentiellement dans les contextes boulimiques, les vomissements étant d’ailleurs une manifestation quasi constante, sinon en premier plan dans ces situations. Les patientes que l’on appelle « les vomisseuses » sont en réalité, la plupart du temps, des boulimiques.
Des vomissements provoqués chroniques isolés sont possibles, en dehors de crises boulimiques compulsives, mais cette éventualité est plus rare. Ces vomissements répétés sont parfois faciles, déclenchés par « pompage » (ingestion d’eau préalable) ou simple réflexe. Ils sont parfois plus difficiles ou violents, en particulier sur estomac vide.
Dans ces situations, l’amaigrissement relatif et l’hypovolémie chronique sont plus fréquents. Il en est de même pour les complications digestives hautes ou dentaires, en particulier lorsque ces vomissements sont pluriquotidiens ou essentiellement non alimentaires.
Troubles liés aux déséquilibres hydroélectrolytiques :
Les vomissements chroniques sont responsables non seulement d’une perte d’eau mais également d’une perte d’ions sodium, hydrogène, chlore et surtout potassium.
La perte d’eau et d’ions sodium est responsable d’une déshydratation extracellulaire et d’une diminution de la volémie. L’hypovolémie stimule le système rénine-angiotensine et en cascade l’aldostérone. L’aldostérone favorise la réabsorption du sodium au niveau du tube distal, au détriment du potassium (pompe Na+/K+). La sécrétion d’hormone antidiurétique (AVP) est également stimulée par la baisse de la volémie efficace. La réponse du rein à l’hypovolémie et à Phyperaldostéronisme comporte donc une oligurie, une natriurèse faible <10 mmol/ 24 h, une osmolalité urinaire élevée avec un rapport U/P osm > 2, une concentration uréique urinaire élevée avec un rapport U/P urée > 10 et un rapport Na/K urinaire < 1. La créatininémie augmente en raison d’un débit de filtration glomérulaire modérément diminué en situation d’hypovolémie. Cet ensemble réalise un tableau d’insuffisance rénale fonctionnelle. La compensation rénale à l’hypovolémie débute très progressivement mais persiste une fois l’hypovolémie corrigée, responsable d’une rétention pendant les périodes sans purgation, avec impression de prise de poids ou de bouffissure. Ces phénomènes peuvent à nouveau précipiter des épisodes de vomissements provoqués… et ainsi de suite.
La perte d’ions H+ a pour conséquence directe une augmentation de la concentration plasmatique des bicarbonates. L’élévation du pH est fonction de l’inflation des bicarbonates et de l’importance de la compensation respiratoire (à l’origine de l’élévation de la PaCOz par hypoventilation alvéolaire). Cette alcalose métabolique est constamment associée à une hypochlorémie avec trou anionique normal. Plusieurs facteurs contribuent au maintien de l’alcalose métabolique :
– l’hyperaldostéronisme secondaire à l’hypovolémie entraîne une réabsorption maximale des ions NaHC03~, la diminution du chlore disponible pour la réabsorption du sodium favorisant également la réabsorption de NaHC03 plutôt que de NaCl ;
– l’alcalose est directement responsable d’une fuite urinaire de potassium. L’hypokaliémie augmentant l’alcalose, un véritable cercle vicieux est constitué. On observe alors la persistance d’une acidurie « paradoxale » avec pH urinaire < 7 et ammoniurie exagérée. Cette anomalie tubulaire entretient elle- même l’alcalose.
La perte d’ions K+ n’est pas tant digestive qu’urinaire. Les principaux stimulants de la sécrétion d’ions K+ au niveau du tube distal sont l’aldostérone (échange Na+/K+), Palcalose (épargne d’ions H+ par échange avec les ions K+) et l’augmentation du débit d’urine tubulaire distale.
Autres conséquences cliniques des vomissements chroniques:
– Une sialomégalie (parotides surtout), palpable ou franchement visible.
– Une périmylolyse (atteinte de l’émail dentaire par les régurgitations acides).
– Un signe de Russell (callosités sur le dos de la main en rapport avec les traumatismes répétés des incisives supérieures centrales sur la main introduite dans la bouche).
– Divers signes digestifs (œsophagite peptique, syndrome de Mallory-Weiss).
– Des crampes et épisodes tétaniques (par baisse du calcium ionisé en rapport avec l’alcalose). Les crises tétaniques sont toutefois rares en situation de carence potassique non corrigée.
– Des troubles cardiaques, en rapport avec l’hypokaliémie. Outre les signes ECG bien connus (sous-dénivellation du segment ST, diminution de l’amplitude de l’onde T, apparition d’une onde U), il faut surtout se souvenir que des troubles du rythme peuvent survenir pour des kaliémies inférieures à 2,5 mmol/1 (tachycardie sinusale, tachycardie ventriculaire, torsades de pointes, fibrillation ventriculaire). Ils imposent une hospitalisation immédiate en transport médicalisé.
– Plus rarement, des paralysies flasques des membres, une rhabdomyolyse aiguë avec myoglobinurie et parfois oligoanurie, un iléus paralytique, en rapport également avec l’hypokaliémie.
– Un pseudo-syndrome de Bartter : comme dans le syndrome de Bartter, il existe une hypokaliémie et une alcalose avec hyperréninémie et hyperaldostéronisme. Ce qui permet de les distinguer est la chlorurie, élevée dans le syndrome de Bartter et au contraire effondrée (<10 mmol/1) en cas de vomissements dissimulés.
Complications mécaniques des vomissements :
– Nous avons déjà abordé certaines d’entre elles (œsophagite peptique, syndrome de Mallory-Weiss, exceptionnellement rupture de l’œsophage.
– Le pneumomédiastin est une autre complication rare de l’anorexie mentale. Le plus souvent spontané (ou primaire), il est consécutif à la rupture d’alvéoles marginales au contact des gaines péribronchovasculaires le long desquelles l’air gagne le médiastin. Ce pneumomédiastin est le plus souvent rattaché à un épisode aigu d’augmentation de la pression intra-alvéolaire sur une glotte fermée, au cours de vomissements provoqués. La symptomatologie fonctionnelle est pauvre, le plus souvent limitée à une douleur et à un inconfort thoracique. Il faut systématiquement rechercher un emphysème sous-cutané des creux sus-claviculaires et de la base du cou. Le diagnostic clinique est confirmé par une radiographie thoracique de face qui retrouve la présence d’air dans le tissu sous-cutané. La possibilité d’une brèche œsophagienne doit être toutefois éliminée par un transit œsophagien à la gastrografine. Le drainage chirurgical est inutile en l’absence de pneumothorax associé et le pneumomédiastin spontané évolue favorablement en quelques jours sous simple surveillance.
Abus de laxatifs :
Le plus souvent, ce phénomène est nié. Comme dans les vomissements chroniques, la principale conséquence de l’abus de laxatifs est l’hypovolémie. La différence essentielle avec les vomissements est que la diarrhée induite par les laxatifs contient de grandes quantités de potassium (50 à 60 mEq/1) et de bicarbonates.
Contrairement aux vomissements, une acidose (pH < 7,38) métabolique (C02 total plasmatique <23 mmol/1) hyperchlorémique peut se développer et masquer une profonde carence en potassium (transfert du potassium des cellules vers le milieu extracellulaire) en conservant une kaliémie normale, faussement rassurante.
La bandelette urinaire permet de confirmer, s’il en était nécessaire, l’origine non rénale de cette acidose métabolique en montrant un pH urinaire approprié (inférieur à 5,2). Une recherche de laxatif dans les selles est également possible, mais en général l’interrogatoire simple suffit.
Abus de diurétiques :
L’abus de diurétiques est rare chez les adolescents anorexiques. Il est surtout connu dans les formes chroniques de l’adulte et là encore le plus souvent nié. Il est responsable, comme les vomissements chroniques, d’une déshydratation extracellulaire avec hypovolémie et hyperaldostéronisme secondaire.
Mais la réponse du rein à la déshydratation est inadaptée car :
– la diurèse reste abondante (> 1 litre/jour) ;
– la natriurèse est élevée (> 30 mmol/jour avec un rapport U/P urée < 10).
Comme dans les vomissements chroniques, un pseudo-syndrome de Bartter peut être observé. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à rechercher les diurétiques que l’on sait déceler dans le sang ou l’urine.
Les autres particularités métaboliques dépendent du type de diurétique utilisé (diurétiques responsables d’une fuite potassique ou au contraire épargnants potassiques).
Conduites polydipsiques et potomanie :
La polydipsie est fréquente au cours des troubles des conduites alimentaires, qu’il s’agisse de l’anorexie mentale ou de la boulimie. Ce comportement peut confiner à une véritable addiction à l’eau. Il est rare qu’il soit avoué spontanément, et impose donc un interrogatoire systématique.
La polydipsie a pour conséquence une polyurie avec des urines très diluées, faiblement concentrées en sodium : < 10 mmol/1. Elle ne s’accompagne pas toujours d’hyponatrémie franche.
En revanche, une potomanie avec intoxication par l’eau est possible. Aux signes urinaires décrits ci-dessus, s’associe alors toujours une hyponatrémie. Les signes cliniques d’hyperhydratation cellulaire sont ici des nausées ou des vomissements, des céphalées et une confusion mentale. La situation la plus grave, conséquence le plus souvent d’une absorption massive et brutale de liquides, s’accompagne de convulsions et d’un coma pouvant aboutir au décès. Ces signes neuropsychiques sont directement en rapport avec l’œdème des cellules cérébrales. En situation d’hyponatrémie chronique, dans ces contextes, une augmentation de la sensibilité rénale à l’ADH (hormone antidiurétique) a été suggérée, auprès de patients psychiatriques. Mais d’autres facteurs associés, notamment hypothalamo-hypophysaires, pourraient entrer en jeu dans l’anorexie mentale.
A contrario, des cas de diabète insipide avec déficit partiel en ADH ont été décrits dans l’anorexie mentale. Ils sont responsables d’une déshydratation cellulaire avec persistance d’une diurèse abondante (> 2 litres/24 heures), inadaptée à la situation de déshydratation, et d’un trouble de la concentration des urines avec une osmolalité urinaire trop basse, non maximale (rapport U/P osm < 2).
Pour résumer : les manœuvres purgatives sont le plus souvent dissimulées. Elles constituent un grave danger de complications métaboliques chez les patients présentant un trouble du comportement alimentaire. Il faut certainement rechercher activement ces manœuvres pour essayer d’en combattre les effets particulièrement délétères en situation de malnutrition, tout en sachant :
– qu’une adolescente peut initialement présenter une anorexie restrictive stricte et ne développer que secondairement des conduites purgatives visant à tenter de mieux contrôler son poids ;
– que les manœuvres purgatives peuvent être associées entre elles (par exemple : vomissements et laxatifs), ce qui augmente d’autant plus le risque de complications ;
– que l’utilisation de médicaments, en particulier de psychotropes, peut avoir un effet aggravant sur ces terrains.